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personnes ou de circonstances. Peut-être devrais-je aller tout de suite jusqu’à dire qu’il était républicain. Il ne voyait aucune raison bien sérieuse qui justifiât le maintien de l’établissement monarchique en Angleterre, mais il remarquait tous les sacrifices pécuniaires que cet établissement coûte au pays et il ne se lassait pas de les dénoncer lorsque l’occasion s’en présentait, qu’il fût question d’attribuer une pension à quelque prince ou de voter les frais d’un appareil de chauffage pour un de ces vieux palais en ruines où aucune personne royale ne pouvait habiter. Il était d’avis que la Chambre des Lords devait disparaître comme pouvoir politique et comme institution judiciaire ; mais, réduits à leur valeur sociale, les titres héréditaires lui semblaient un non-sens[1], car, demandait-il, « pourquoi ajouter des inégalités artificielles à tant d’inégalités naturelles qu’il est impossible de supprimer ? » Il voulait un parlement triennal, sinon annuel, afin que la Chambre des Communes, élue par le suffrage universel, fût toujours l’expression exacte de l’état actuel de l’opinion. Suppression de l’Eglise d’Etat dont les revenus, « sauf les donations des vingt dernières années, seraient transférés au budget de l’éducation primaire ; réduction des armemens sur terre et sur mer ; règlement des difficultés internationales par l’arbitrage : tels étaient les principaux articles de ce programme que Labouchere proposait ingénument comme remède à tous les maux, comme solution à tous les problèmes que soulevait la politique du jour. Et cela sans la moindre précaution opportuniste, sans se demander s’il n’affaiblissait pas le grand parti auquel il était censé appartenir. Lorsque Labouchere, calme, souriant, avec une innocence enfantine, criblait d’épigrammes les membres du Cabinet, il est probable que M. Gladstone eût préféré le voir siéger de l’autre côté de la Chambre et que les whigs purs, comme lord Hartington, l’auraient envoyé plus loin encore. Quant à lui, il respectait le grand old man, autant qu’il pouvait respecter quelqu’un, c’est-à-dire fort peu. Il reprochait à Gladstone ces généralités ambiguës, cette vague phraséologie à l’aide de laquelle il se dérobait aux déclarations précises et aux engagemens directs. Ce qui lui déplaisait surtout, c’était ce caractère semi-sacerdotal dont Gladstone se revêtait chaque jour davantage : « Je n’en veux pas,

  1. Il avait donné, sur ce point, la mesure de sa sincérité en refusant de succéder à la pairie de son oncle, lord Jaunton.