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Il était moins prompt à entendre l’appel qui venait des chefs auxquels il était censé obéir. Lord Russell l’ayant envoyé dans une minuscule république américaine, Labouchere se garda de quitter l’Europe et, en réponse aux objurgations du Foreign Office, informa son gouvernement qu’il n’avait pas encore réussi à découvrir où était située la république en question. Alors on le nomma secrétaire à Buenos-Ayres. Il répliqua qu’il était prêt à accepter cette « faveur » de Sa Majesté si on lui permettait de remplir ses fonctions de secrétaire à Buenos-Ayres sans s’éloigner de Baden et de Hombourg. On avait ri de sa première impertinence, on se fâcha de la seconde et on l’informa que le gouvernement de la Reine n’avait plus besoin de ses services. Telle fut la fin de la carrière diplomatique d’Henry Labouchere.

Ceci se passait en 1864. L’année suivante, l’ex-diplomate entrait au parlement comme représentant de Windsor. Ici se termine la période légendaire. A partir de ce moment, il vit au grand jour de la publicité et, sur ce qu’il dit comme sur ce qu’il fait, nous n’avons plus à nous en rapporter aux contes inventés par ses ennemis ou par lui-même.


II

L’élection de Windsor fut cassée comme entachée de corruption. Il serait aujourd’hui difficile autant qu’oiseux d’essayer, après tant d’années, de se faire une opinion sur les causes de cette invalidation. Elle donna à Labouchere l’occasion de déployer pour la première fois sa bonne humeur et son aplomb : « On m’accuse d’avoir fait cadeau d’une robe à une jolie femme, et cela pour acheter le vote de son mari. Mais, messieurs, lorsque j’offre un présent à une dame, le mari est la dernière personne qui en soit informée. » Pendant les six mois que la Commission d’enquête avait mis à préparer son rapport, Labouchere s’était montré un membre utile et actif de la Chambre des Communes ; il avait pris plusieurs fois la parole, notamment sur les questions scolaires et sur les questions de droit international. D’ailleurs, à peine sorti du parlement par une porte, il y rentrait par une autre. A bas Labouchere, bourgeois de Windsor ! Vive Labouchere, chevalier du comté de Middlesexî.

Entre temps, il devenait directeur de théâtre. Était-ce une