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trouvent commode d’en jouer comme d’une amorce sur le terrain électoral et d’en promettre la suppression à leurs électeurs. Cette dernière considération est certainement celle qui agit sur l’esprit du plus grand nombre. Radicaux et socialistes ont vu là une machine électorale d’une puissance extrême, qui les dispense de tout travail d’esprit pour inventer un programme et leur donne des chances qu’ils jugent sérieuses d’élection ou de réélection. Certes, le pays a accepté avec une ferme et patriotique résolution la loi de trois ans ; on lui a dit qu’elle était nécessaire, il l’a cru, il s’y est soumis ; mais que se passera-t-il dans sa conscience si des voix dissidentes, hardies et péremptoires, viennent maintenant lui assurer qu’on s’est trompé, qu’on a exagéré, qu’on a exigé de lui un effort plus grand qu’il n’était indispensable, enfin qu’on peut sans inconvéniens, et sinon d’un seul coup, au moins par rapides étapes, revenir au service de deux ans ? Il est difficile de prévoir quel sera en lui le résultat de cette épreuve, mais il est à craindre que ce ne soit un grand désarroi. Il y a quelques jours, M. le ministre de la Guerre, dans un discours qu’il a prononcé à Miratide, a très nettement affirmé que les nécessités qui avaient imposé la loi de trois ans n’avaient pas disparu et qu’elles étaient toujours impérieuses. La sincérité de M. Noulens n’est pas suspecte ; tout le monde apprécie la loyauté de son caractère, et au surplus, il a voté la loi de trois ans ; mais il n’en a pas été de même de tous ses collègues, et personne n’ignore, notamment, l’opinion de M. Caillaux. Le Cabinet Barthou était unanime sur la loi militaire, le Cabinet Doumergue ne l’est pas : comment aurait-il la même autorité pour faire accepter par le pays une loi qui lui pèse et qui assurément est très lourde ? Le pays ne connaît pas l’opinion de chacun de nos ministres, mais leurs hésitations ne lui échappent pas et il sent bien que la loi de trois ans n’est plus défendue avec la même conviction et la même force. Alors, qu’arrive-t-il ? Des hommes qui ne se risquaient pas à attaquer cette loi dans nos campagnes, parce qu’on leur opposait l’autorité du gouvernement tout entier, celle du Conseil supérieur de la Guerre, celle de la partie la plus éclairée des Chambres, des hommes qui hier se taisaient commencent maintenant à parler ; ils contestent la nécessité, l’utilité même de la loi ; ils entendent et ils reproduisent des voix sonores ; ils réveillent dans les âmes des sentimens qui n’osaient pas se manifester jusqu’ici et qui ne sont pas ceux dont la nature humaine a le plus à s’honorer. On voit déjà se produire dans le pays comme un remous contre la loi militaire, et il faut s’attendre à ce que ces mouvemens encore un peu indécis prennent un caractère