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pompe, il n’y avait que du vide. Ajourner des dépenses reconnues nécessaires, inévitables, n’est pas un moyen de les diminuer, encore moins de les supprimer. Rouvrir un compte spécial pour le Maroc est un procédé connu d’alléger le budget ordinaire, mais non pas nos charges, et nous dirions volontiers que, puisqu’il faut payer, il importe peu qu’on le fasse de la main droite ou de la main gauche, si les comptes spéciaux n’étaient pas un élément de confusion introduit dans le budget. La déconvenue de la Chambre a été grande lorsque la lecture de cette composition décevante a été terminée. Les radicaux-socialistes s’attendaient à mieux de leur grand homme. Quant au centre et à la droite, ils savaient d’avance que M. Caillaux n’avait pas trouvé la pierre philosophale et n’espéraient pas de sa part des miracles ; cependant une pareille stérilité d’invention n’a pas été, pour eux aussi, sans quelque étonnement. M. Barthou s’en est fait l’interprète dans son discours de Bordeaux. — Que sont devenus, a-t-il demandé, tous les projets qu’on nous avait tant vantés et qui devaient pourvoir, comme par enchantement, au déficit ? On avait critiqué comme excessif un emprunt de 1 300 millions : on lui en substitue un de 1 900 millions. Et cet emprunt, ou ces emprunts, car on les subdivisera en plusieurs séries, on les subordonne à l’établissement de certaines taxes dont la longue discussion rend le vote final à la fois lointain et problématique. Cette politique peut être celle d’un parti que dominent les intérêts électoraux ; ce n’est pas celle d’un gouvernement qu’inspirent les intérêts supérieurs et permanens du pays. — L’état de nos finances est tel, en effet, que nous aurions besoin aujourd’hui d’un baron Louis, d’un Villèle, d’un Thiers. M. Caillaux est loin de pareils modèles et, quand bien même il serait de leur famille, la politique à laquelle il s’est condamné pervertirait en lui les plus heureux dons naturels. On a répété à satiété le vieux mot du baron Louis : « Faites-moi de la bonne politique, et je vous ferai de bonnes finances ; » mais il reste toujours vrai. Malheureusement M. Caillaux fait à la fois de la politique et des finances et, si sa politique est mauvaise, comment ses finances pourraient-elles être bonnes ? M. Ribot avait bien raison de lui dire au Sénat : — Oubliez que vous êtes un homme de parti, un chef de parti, et soyez seulement un ministre des Finances. — Mais c’était lui demander de n’être pas lui-même, M. Caillaux, par son alliance avec les partis révolutionnaires, ne peut faire que de la politique révolutionnaire ; il ne peut pas faire une politique de bon sens, celle qui consisterait à sérier les réformes, et à les introduire l’une après l’autre sans « conjugaison » imprudente.