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dirigées contre lui sont tombées avec lui ; elles sont déjà de l’histoire ancienne ; on comprend toutefois qu’il ait tenu à les relever et à les repousser aujourd’hui, ses adversaires ayant évité avec le plus grand soin de lui en donner l’occasion pendant qu’il était encore au pouvoir. À maintes reprises, il les a invités à monter à la tribune et à ouvrir contre lui un débat qui aurait été contradictoire ; mais ils se sont tus jusqu’à la fin, imitant de Conrart le silence prudent. C’est ainsi qu’on pratique aujourd’hui le régime parlementaire. Le bon public croit que ce régime est celui de la publicité par excellence et que tout s’y passe au grand jour. Il en a été de la sorte autrefois, mais nous avons changé tout cela. À présent, on procède par des allusions détournées et perfides, ou encore on se livre dans la presse à des agressions furibondes ; mais, à la tribune, on parle de tout autre chose, comme si on craignait, par la lumière qui s’en dégage, de dissiper les obscurités indispensables au succès de certains desseins. En vain le gouvernement multiplie-t-il les appels du pied et de la voix, on ne lui répond pas, on continue contre lui le jeu combiné, — M. Caillaux dirait conjugué, — des propos de couloirs, des articles de journaux, et du silence de la tribune. Un ministre ne peut s’expliquer que lorsqu’il a cessé de l’être. M. Barthou n’est pas le premier qui a eu affaire à ces mœurs nouvelles. Pendant qu’il était président du Conseil, M. Clemenceau a sommé plusieurs fois et en même temps défié l’opposition d’énoncer ses griefs dans un débat public, et, ne l’obtenant pas, il appelait avec mépris ses adversaires radicaux qui étaient précisément hier ceux de M. Barthou, « les muets du sérail. » Mais, ayant reconnu la force et l’efficacité du procédé, il l’emploie à son tour et se contente de fulminer tous les matins dans le journal où il dépense la verve la plus débridée, au lieu d’en faire retentir la tribune du Sénat. M. Barthou le lui a reproché. Combien n’aurait-il pas préféré répondre à M. Clemenceau du tac au tac, dans une explication directe que le Sénat aurait entendue et que le pays aurait jugée ! Mais M. Clemenceau lui a refusé ce plaisir, et les « muets du sérail » de la Chambre l’en ont privé pareillement. On comprend donc que M. Barthou ait tenu à parler à Bordeaux de sa circulaire sur les manuels scolaires et de celle de M. Baudin sur la célébration du vendredi-saint. Avec quelle virulence ces deux circulaires n’avaient-elles pas été commentées, condamnées, flétries dans certains journaux ! Il semblait que M. Barthou avait compromis les intérêts et, ce qui est encore plus grave, sacrifié l’honneur de la République laïque ! Et on avait insinué par surcroît qu’il avait entamé ou qu’il s’était proposé