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Kundry elle-même, à peine reconnaissable. C’est le cas de répéter le mot fameux de Bossuet : « Quel état, et quel état ! » Le personnage d’ailleurs est plutôt obscur. Une loi fatale contraint cette femme au péché jusqu’au jour où l’homme qu’elle n’aura pu réussir à perdre, la sauvera par le mérite de ses chastes refus. Belle tout à l’heure et parée comme une courtisane, la voici repentante, humiliée. Quand revient Parsifal, épuisé de fatigue, mais transfiguré, les yeux et l’âme ouverte à la lumière surnaturelle ; quand il s’assied pensif, au seuil de Gurnemanz, sous les arbres en fleurs, Kundry s’approche en silence. Elle détache l’armure et les sandales du héros vierge. Elle lave, parfume ses pieds meurtris, et les essuie avec la chevelure qu’elle dénoua jadis pour de moins pures caresses. Telle que Madeleine, elle sanctifie sa chair, tant de fois pécheresse, au contact à demi divin de celui qui jamais ne pécha.

Alors, de Kundry comme d’Amfortas, Parsifal a pitié. Il verse l’eau baptismale sur le front de la pénitente, et, suivi par elle et par Gurnemanz, il reprend le chemin du Montsalvat. C’est le vendredi-saint. Les chevaliers en prière adjurent encore une fois le misérable Amfortas de découvrir le Graal. Il s’y refuse, et déjà ses compagnons menacent de lui faire violence. Mais Parsifal apparaît. De la lance reconquise il touche la blessure mystérieuse et la guérit. Proclamé roi du Graal à la place d’Amfortas, il monte les degrés de l’autel et ses mains pures élèvent le cristal sanglant. L’œuvre de miséricorde est accomplie, et sur Kundry mourante, sur Amfortas pardonné, sur les chevaliers à genoux, descend la colombe mystique, messagère de grâce, de paix et de salut.

Au fond, et très simplement, en deux mots, dont l’allitération même n’eût pas déplu à Richard Wagner, Parsifal a pour thème psychologique ou moral deux sentimens, la pitié et la piété. Étroitement unis, inséparables même, l’un et l’autre opèrent ici pour ainsi dire en fonction l’un de l’autre. Parsifal ne saurait passer pour un produit ni pour un exemple de la philanthropie ou de la solidarité laïque. Parsifal n’est pas « neutre. » L’idée mère et maîtresse de l’œuvre, idée essentiellement chrétienne, est l’idée de la rédemption. A propos de cette idée, ou de ce problème, Nietzsche écrivait un jour (le Nietzsche de la seconde manière, laquelle fut, on le sait, terriblement anti-wagnérienne) : « Je ne l’estime pas (ce problème) au-dessous de sa valeur. Il a bien son charme. Le problème de la rédemption est même un problème très vénérable. Rien n’a fait faire à Wagner de réflexions plus profondes que la rédemption. L’opéra de