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blâme le mélange hasardeux des vers classiques et des vers que j’appelle, pour abréger, nouveaux. Dans un poème écrit en vers classiques, la soudaineté d’un vers nouveau déconcerte. Elle semble et, presque toujours, elle est une négligence. Un poète ingénieux comme M. André Rivoire s’en tire très joliment ; c’est une négligence tout de même. Après une ample série de vers classiques, l’oreille ne s’attend pas à un brusque changement de méthode : elle est déçue, elle est blessée. Il faut que le poète ait choisi d’abord entre le vers nouveau et le vers classique. Or, depuis qu’abandonnant le vers authentiquement libre des symbolistes, on est retourné à la versification régulière, les poètes ont une fâcheuse tendance à introduire dans la versification régulière quelques-unes des libertés qui faisaient un ensemble cohérent et qui, les unes ou les autres, détachées d’un tel ensemble, ne sont plus que des commodités éventuelles. Sully Prudhomme, lui, refusait toute la poétique du vers libre. Pour la refuser absolument, il méconnaissait de beaux poèmes. Ce fut l’inconvénient de son attitude ; mais il se sauvait par la netteté de sa doctrine et il n’embrouillait rien. La plupart des poèmes qui voient le jour ces temps-ci brouillent deux esthétiques. On prétend éconduire le vers libre des symbolistes et l’on réclame en faveur d’un vers « libéré. » Or, un vers libéré est libre, ou n’est qu’un vieil esclave et qui prend des licences. Pourquoi ne veut-on pas accorder que les écrivains ont à leur disposition la prose, la poésie régulière et puis une autre poésie ?

Les menues irrégularités que Sully Prudhomme signalait à l’auteur des Vierges sont, comme il le disait, très rares dans ce poème ; et elles y sont des fautes légères, de plus en plus rares dans l’œuvre de M. André Rivoire. Ni pour la forme poétique, ni pour l’esthétique générale et pour la pensée, les symbolistes n’ont eu aucune influence appréciable sur ce poète, pas plus que les événemens contemporains et les idées environnantes. Il admirait Sully Prudhomme, et sans doute pour les Solitudes et les Vaines tendresses plus que pour les Réflexions sur l’art des vers : il lui a dédié son prélude. L’harmonie et le rythme des vers réguliers l’enchantait et il n’éprouvait pas le besoin d’émanciper le vers : il s’est contenté de l’instrument, du reste subtil et fort, que lui offrait la poésie traditionnelle. Et la querelle des esthéticiens ne l’a pas intéressé le moins du monde ni touché de nulle incertitude. Il n’adoptait pas les nouveautés ; il ne protestait pas contre elles : et, quatre siècles de poésie française lui battant la mesure, il chantait son amour.

Je ne sais si jamais poète fut, et avec tant de simplicité, si