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une préface au poète Sully Prudhomme. Cela pouvait déjà passer pour une manifestation réactionnaire, Sully Prudhomme étant, à cette date, l’ennemi déclaré des novateurs. Les Réflexions sur l’art des vers avaient paru en 1892 : une « étude sur les fondemens physiologiques de la versification » motivait une « critique des tentatives de la réformer » et une sévère admonestation des imprudens et sacrilèges. Le poète des Vaines tendresses menait, contre les ennemis des règles sacro-saintes, une campagne ardente et rude. Il se révélait bon polémiste et, pour n’être pas induit, de concessions en concessions, à renoncer sa foi doctrinale, il refusait tout. Voire, ce rêveur si doux ne craignait pas d’être dur ; et, au service d’une cause chérie, ce poète de la Justice était injuste avec un bel entrain. Je me figure qu’il en souffrit un peu ; je ne l’affirme pas. Il était dans la lutte ; et il n’épargnait rien ni personne. Ainsi, M. André Rivoire, qui se présentait sous le patronage de Sully Prudhomme, ne se rangeait-il pas dans l’armée de défense ? Et n’ai-je pas eu tort de dire que les révolutionnaires ne l’avaient seulement pas ému ?… En vérité, non ; et il ne se rangeait dans aucune armée. Sully Prudhomme l’a compris. Certes, il félicite le poète des Vierges d’avoir peint « des états d’âme extrêmement nuancés avec les ressources traditionnelles de la versification ; » il ajoute : « Je vous en sais beaucoup de gré ; vous m’avez affermi dans la confiance qu’elle suffit à tous les besoins du cœur. » Puis : « Il vous arrive cependant, mais rarement, d’user de césures anormales. Je vous prierai de me dire vous-même les quelques vers où vous prenez ces licences, et de m’enseigner à ne plus confondre de tels vers avec de la prose harmonieuse. » De la prose harmonieuse, — eh bien ! si les symbolistes inventaient, si tout au moins les symbolistes écrivaient une prose harmonieuse, ils méritaient encore de l’estime ou de l’indulgence : — Sully Prudhomme ne leur pardonnait pas de créer, entre les vers et la prose, même harmonieuse, une confusion. Il tenait à la séparation nette et absolue de ces deux modes du langage et signait de son glorieux nom les apophtegmes de Monsieur Jourdain. Mais il pardonne à M. André Rivoire : « Je n’insiste pas (dit-il) sur ces exceptions, où je vois plutôt des tentatives que des révoltes. » Il pardonne : et, dans son pardon même, il renouvelle sa réprimande. Il loue, avec beaucoup de raison, le poète des Vierges ; mais il ne l’enrôle pas comme son lieutenant.

Les petites irrégularités auxquelles Sully Prudhomme fait allusion, les voici. De temps à autre, M. André Rivoire déplace, en effet, la césure. Il ne coupe pas en deux parties égales son alexandrin.