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plus sérieuses affaires ne tardèrent pas a absorber son attention. En 1712 nous le trouvons tout préoccupé par ce qu’on appelait à Port-Royal « le plan de M. du Guet. » C’était un projet pour la conversion totale des Juifs, — qui devait être le signal d’une époque nouvelle, — fondé sur l’explication d’une épitre de saint Paul… Ces discussions, où un véritable sens critique s’alliait à je ne sais quelle folie de chimères, étaient tout à fait au goût de Sévigné. Il eut avec du Guet, au printemps de cette année, une conversation, à laquelle assiste l’abbé d’Etemare, — conversation qui resta célèbre dans le parti et qui fut ensuite mise par écrit, et rédigée par l’abbé, à la prière de notre pauvre marquis… Sans doute, il se figura un instant être l’ombre attardée de Pascal ; — du moins, trouva-t-il quelque douceur à marcher, les pas dans les pas révérés et illustres du maître… Et là, tout absorbé par l’attente du millénium, il nous quitte. C’était sa dernière année. — Il avait soixante-cinq ans : sa femme — beaucoup plus jeune — lui survivra d’un quart de siècle, sans quitter ce goût de la solitude et de la retraite qui paraît avoir été, pour elle, la condition de la santé. Pauvre gentil petit baron, il a vieilli en somme bien plus dignement qu’on n’aurait pu le croire ; et pourtant il est triste de le perdre de vue en polémiste suranné, farci d’idées fausses. Saint-Simon, qui, pour cause, ne l’avait pas connu jeune, parle de lui sans soupçon de son ancienne grâce, depuis longtemps éteinte…


1713

Sévigné mourut aussi et sans enfant, retiré depuis quelque temps, avec sa femme, dans le faubourg Saint-Jacques, dans une grande piété… Il était fils de Mme de Sévigné, encore connue par ses lettres… C’était un bon et honnête homme, mais moins un homme d’esprit que d’après un esprit, qui avait eu des aventures bizarres, peu mais bien servi, et qui, du naturel charmant et abondant de sa mère, et du précieux guindé et pointu de sa sœur, avait fait un mélange un peu gauche.


MARY DUCLAUX.