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il faut se montrer, soit courtisan, soit guerrier, il aime infiniment mieux rester chez lui et jouir de la paix des Rochers ; c’est là qu’il est à son aise, c’est là qu’il est vraiment chez lui, et il a toujours senti un goût invétéré pour passer sa vie avec des Bretons. Et, pourtant, il ne finira pas sa vie dans cette tranquillité des Rochers. Il abandonnera sa province ; il se fixera finalement à Paris, et sa femme en sera cause… Assurément, il n’y a rien de remarquable à ce fait qu’une aimable marquise, quittant enfin sa campagne écartée, cède au charme de Paris et n’arrive plus à s’en dégager. Mais ce ne seront ni la Cour ni la ville qui attacheront si fort la jeune Mme de Sévigné ; elle se laissera prendre à « la glu du quartier Saint-Jacques. » Sa belle-mère nous en a souvent parlé comme d’une chose à désirer pour soi, mais redoutable pour ses proches, car elle fixait à jamais à un séjour enchanté ceux qui tombaient dans le piège. Personne mieux qu’elle ne nous a décrit le sobre charme, le sortilège austère, de ce pieux quartier, où les Carmélites réunissaient autour d’elles une société « céleste. » « Il n’y a que des habitans du ciel qui soient au-dessus de ces saintes personnes. » Dans ce bienheureux faubourg régnait une paix perpétuelle. Le Carmel, et Port-Royal, et Sainte-Marie oubliaient leurs différends ; tout un monde d’âmes religieuses, fuyant les liens de la terre, y vivait retirées ; logeant chez les Visitandines, fréquentant les Carmélites, s’appuyant à ce roc non encore effrité de Port-Royal. On y jouissait d’un avant-goût d’éternité. Si la vie n’y était plus tout à fait la vraie vie, la mort ne paraissait que le passage d’une pièce sombre à une chambre tout à côté en plein jour. On était déjà au-delà du deuil. Mme de Sévigné, — la vraie, l’illustre, — ne nous raconte-t-elle pas comment, à l’enterrement du bon Saint-Aubin, la mère-prieure, au milieu de ses saintes consolations, « fit un éclat de rire si naturel et si spirituel que notre tristesse en fut embarrassée ? » On savait vivre, on savait mourir dans ce quartier-là. On y pleurait, tout en souriant un peu, des larmes dont la source n’était point amère. On y parlait avec grâce, et même avec une légèreté décente et innocente qui n’était plus de ce monde, mais qui sortait d’une mondanité exquise, lointaine et comme oubliée. Voilà ce qui attirait la belle-fille de la grande Mme de Sévigné. Un jour elle y entendit Massillon prêcher le Carême : elle ne voulait plus s’en aller. Car elle avait trouvé, sur terre, la Cité de Dieu.