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Saint-Simon se plaint longuement de cette rigueur que Sévigné allait éprouver. Nous le verrons, au fil des années, guidon, c’est-à-dire enseigne ; puis sous-lieutenant ; toujours sous-lieutenant, à perpétuité, tandis que son neveu de Grignan sera promu au rang de colonel à dix-huit ans.

En sensitif qu’il était, le jeune baron s’aperçut vite d’une atmosphère hostile et ne parla de rien moins que de vendre sa charge. Il en parlait à qui voulait bien l’entendre, sans la moindre discrétion. Il avait payé fort cher son emploi de guidon « parce qu’il en était fou ; » il voulait maintenant vendre aux deux tiers du prix sa place de sous-lieutenant, « parce qu’il en était dégoûté. » Est-ce là une façon de conduire ses affaires ? se lamente la marquise, aux Rochers. Mais Sévigné « sent toute la force secrète qui attire naturellement les Bretons, en leur pays… Ce serait vouloir arrêter le Rhône que de s’opposer à ce torrent. » Heureusement, la charge était fort difficile à vendre, et Mme de Sévigné espérait voir son fils oublier cette fantaisie.

Mais quelle mouche le piquait, pour lui faire parler à la Cour de son désir de quitter l’armée ? Ce n’était guère le moyen de se réconcilier avec le pouvoir : « Le Roi ne peut souffrir ceux qui quittent le service. » (26 mars 1680.) Saint-Simon nous dit la même chose, en nous assurant que l’officier démissionnaire était assuré de subir toutes les mortifications possibles dans sa province, dans sa ville, et même dans ses terres. Encore s’il voulait quitter le régiment pour la Cour ; mais l’homme qui osait préférer Vitré à Versailles était vite jugé ; le Roi aimait peu les petits hobereaux entichés de leur province ; il pensait sans doute, avec Mme de Grignan, que Sévigné jouait fort au naturel le rôle de Monsieur de Sottenville. Il faut donc, en dépit qu’elle en ait, que la marquise se rende à l’évidence ; elle constate avec un douloureux étonnement la disgrâce latente de son charmant fils :

« Si j’avais voulu faire un homme tout exprès, et pour l’esprit et pour l’humeur, pour être enivré de la Cour, et même pour être assez propre à y plaire, j’aurais fait à plaisir M. de Sévigné. Il se trouve que c’est précisément le contraire. »

Mais les années passaient sans que le baron pût se défaire de sa charge ; le temps s’écoulait ; à un certain moment sa mère se reprenait à l’espoir. Sévigné se trouvait par hasard en