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mère les deux bras empaquetés dans vingt serviettes, et ne se pouvant soutenir sur les jarrets, que nous ne sentions celui de la voir se promener et chanter du matin au soir dans nos allées. » Le caractère souple et doux de Sévigné, naturellement subalterne, faisait de lui un charmant garde-malade, surtout quand il s’agissait de soigner une altération de la santé, en somme passagère.

Et cependant cet aimable petit compère, si gai, si câlin et si fou, est, au fond, de ces bons jouisseurs qui finissent volontiers, un peu moroses, en marguilliers de leur paroisse. Son entrain, pour délicieux qu’il nous paraisse, n’est que sa jeunesse qui lui fait du bruit ; sa spontanéité, son laisser aller ne sont que le libre jeu accordé à la fantaisie du moment par une nature sans ensemble, vivant au jour le jour, dans une série de sincérités successives.

Ces jeunesses-là sont belles, mais combien vite elles s’usent ! A force de jouir, l’on se fatigue, on devient nonchalant, et le pauvre cœur, abandonné à tant d’impressions, se blase et s’engourdit. Personne n’a goûté la lie profonde de l’ennui comme certains fantaisistes. Ces natures, jolies, mais incohérentes, ignorent la secrète harmonie qui constitue l’essence du caractère. Rien en eux n’est faux, sans doute, ni méchant, mais rien non plus ne dure. C’est de la poussière d’or, si l’on veut, mais ce n’est que de la belle poussière.


Le mauvais mariage de Mme de Sévigné la poursuivait jusque dans ses enfans. Non pas qu’ils ne soient sympathiques, ce fils et cette fille, mais, pour être les rejetons d’une solide Bourguignonne, combien ils nous paraissent faibles ! Pour Mme de Grignan, passe encore : malgré ses raideurs et ses froideurs, malgré les jalousies et les gênes d’un cœur défiant qui ne savait s’épancher que de loin, elle était « vraie » (sa mère ne se lasse guère de le répéter), elle était « très loyale, » elle avait un fond de vertu stoïcienne : « Vous me paraissez solide (lui dit Mme de Sévigné), il me paraît qu’on peut se fier à vos paroles. » Elle a du courage, de la raison, de la dignité. Et sa mère revient souvent sur les vertus romaines de cette jeune femme gauche et nonchalante que la moindre résolution à prendre jette dans un vertige d’indécision qu’elle arrive pourtant à vaincre. La plaie à peine secrète de ce cœur de mère, c’est qu’elle n’ose