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CHARLES DE SÉVIGNÉ

Dans les lettres de Mme de Sévigné, il n’y a rien de plus léger que les traits gracieux et vifs qui esquissent le portrait de son fils, ce charmant mauvais sujet dont, disait-elle, « le cœur était fou. » C’était, du reste, un mauvais sujet d’une espèce particulière, car on ne voyait pas de fils plus tendre, de frère plus prévenant, ni de mari meilleur. Disons plutôt que c’était un excellent homme et, à sa façon, un vrai philosophe, avec quelques faiblesses qui le rendent plus humain, mais frappé de je ne sais quelle incapacité singulière qui faisait que tout ce qu’il voulait entreprendre était condamné d’avance, et qui ôtait à ses qualités leurs résultats ordinaires. C’était un arbre fleuri qui n’aboutissait jamais au fruit. Il le savait bien et disait : « Tout ce que je puis penser de bon est toujours inutile et demeure sans effet et j’ai toujours la grâce efficace pour ce qui ne vaut pas grand’chose. »

Et c’est peut-être pour cela qu’il nous paraît sympathique : nous le voyons si aimable et toujours déçu. Regardons-le bien, ce beau garçon alerte et blond ; il a le sourire, et quelque chose de l’esprit et du charme, de sa mère : ne dirait-on pas qu’il est promis aux belles destinées ? Voit-on un jeune marquis plus gracieux ? Disons plutôt un « jeune baron ; » car (c’était un trait de son esprit conciliant), pour laisser tout l’éclat à sa mère, il ne voulait porter que le moindre de ses titres, au moins jusqu’au jour de son mariage. Nous le rencontrons pour la première fois à l’âge de neuf ans, u arrivant dans le fond d’un carrosse tout ouvert » avec sa