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années. Et, pendant ce temps, écoutez-moi bien, Le Goffic, il se créera un droit.

C’est la grande phrase que m’a dite Briand dans son cabinet : « Une jurisprudence se crée, ne bougez pas ; l’état de fait en se prolongeant se transforme en état de droit par le seul effet de sa durée. » C’est une pensée vraie ; on ne l’épuise pas en la creusant.

Sous nos yeux, à cette minute, il se crée un droit. Au profit de qui ? Il ne s’agit pas de me raconter que le bon droit est avec les églises. Il faut qu’elles aient la force avec elles. Où manque la force, le droit disparaît ; où apparaît la force, le droit commence de rayonner. Le droit des églises à rester catholiques est essentiellement dans la puissance, dans la persistance de l’idée qui est en elles. Mon cher Le Goffic, on maintiendra les édifices à la disposition du prêtre et des fidèles tant que ceux-ci seront assez nombreux et ardens pour que la paix publique soit compromise par un retrait. C’est l’intensité de la foi qui maintiendra et recréera, en dépit de la loi, un droit légal au profit du catholicisme.

Si vous voulez que je vous confesse toute ma pensée, je dois vous dire, Le Goffic, que nos églises et vos cimetières ne peuvent être sauvegardés pleinement que dans la mesure où la vie religieuse se maintiendra au village. Le jour où les églises deviendraient des objets respectés à cause de leur passé, des monumens curieux, quelque chose comme des dolmens, des peulvans ou des cromlec’hs, bref de gros bibelots sur la colline, elles seraient perdues, et le reproche d’ingratitude ne suffirait pas à convaincre les générations de les maintenir. La solidité physique des sanctuaires, c’est d’être moralement féconds, et vos cimetières mériteront d’être conservés dans la mesure où les ombres des morts sauront encore parler aux vivans.

Parlons, écrivons, plaidons, projetons le plus de lumière que nous pourrons sur la noble église du village. La plus belle louange que nous en pourrons dire n’est rien auprès du service que lui rend le prêtre s’il la remplit de fidèles. Nos raisonnemens iront bien difficilement émouvoir les conseillers municipaux, qu’il s’agit pourtant que nous persuadions ; nous rejoindrons plus péniblement encore leurs électeurs de qui tout dépend en dernier ressort. Ne ménageons pas notre peine ; nous en sommes abondamment dédommagés par l’honneur de servir