Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on ruine les puissances de vénération dans notre France, c’est la civilisation même qui s’y va dégrader. Certaines personnes s’obstinent à croire que nous défendons les beaux vestiges du passé. Quelle vue étroite ! Quelle conception étriquée ! Nous défendons moins le passé que l’avenir. Parlons clair et net, nous défendons l’éternel.

Rien ne sert d’objecter que Messieurs X… Y… Z… et Mme Trois-Étoiles, adversaires déclarés du christianisme, font voir des vertus de sacrifice et le plus beau sens de l’honneur. Est-ce que l’on songe à le nier ? Le fait ne va pas contre ce que je dis. Ces antichrétiens vivent dans une société toute formée par le catholicisme ; ils classent leurs idées selon le catholicisme ; ils sont eux-mêmes compris et interprétés par une société catholique ; ils bénéficient de l’atmosphère, et leur noblesse morale, que des observateurs superficiels seraient tentés de prendre pour une qualité naturelle, ils la reçoivent de l’Eglise même.

Au fond de cette question des églises, mon cher Le Goffic, ce qui nous préoccupe, c’est le problème de l’éducation de l’âme. A la formation de quelles âmes voulons-nous travailler ? Nous voulons répéter, faire revivre les plus beaux types qu’a produits notre pays. Comment ? En maintenant à la disposition de chacun ce qui a toujours répondu aux aspirations du cœur et aux besoins de la pensée française. Si quelqu’un sur les ruines de l’église du village est en mesure de dresser un temple nouveau, ou je ne sais quelle chaire qui, dans toutes les circonstances de la vie, supplée l’église, nous sommes prêts à voir ses plans. Mais je connais la littérature de notre époque, j’écoute avec un grand soin mes collègues de la Chambre : je ne vois pas un constructeur, mais seulement des démolisseurs. Démolir ! quelle abjection !

Maintenant, mon cher Le Goffic, que pouvons-nous pour la sauvegarde des églises de France et des autres monumens de notre vie spirituelle ? Depuis quatre ans, nous combattons. L’intelligence française a sauvé son honneur en se dressant contre les barbares devant l’église du village. En cela, un résultat certain a été obtenu, et les parlementaires se sentiraient mal à l’aise d’afficher trop clairement un désaccord avec l’élite des penseurs et des artistes de notre pays. Mais nos ennemis sont puissans. S’ils ne nous contredisent plus guère, ils ajournent, ils rusent, ils cherchent à gagner des jours, des semaines, des