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chapelle, y plaça des reliques, et les paysans déposèrent aux pieds du saint les offrandes qu’ils apportaient jadis à la déesse des eaux. Pourquoi refuser de croire que la pauvre déesse se soumet, se convertit, se transfigure ? Pour moi, je la verrai toujours sur la rive vénérable quand j’irai honorer le saint, et je ne crois pas que personne puisse lui refuser le salut du poète : « O déesse, je te connais, je connais tes faiblesses, mais je sais aussi tout ce qu’il y a de bon en toi. »

Dans le haut Moyen Age, un très grand nombre de ces pauvres esprits s’étaient rapprochés de l’église du village. Je ne puis voir sans émotion, au chevet de certaines de nos églises romanes, la petite fenêtre ronde, l’oculus, où de jour et de nuit, jadis, on exposait le Saint-Sacrement, de telle manière qu’on pût l’honorer du dehors. Pour moi, ce phare du cimetière, ce fanal autour duquel tournoient dans la nuit les ombres, c’est le signe le plus émouvant de l’appel jeté par l’église au profond des mystères de la lande, la marque de sa bonté.

Hélas ! aujourd’hui, la chapelle du lac est ruinée, l’oculus éteint et l’église du village elle-même est menacée. Comme ces produits chimiques que l’industrie verse dans nos rivières, comme ces crasses de houille dont elle obstrue nos vallées, un détritus de plus en plus grossier s’accumule dans l’esprit humain et s’oppose à tout ce que l’âme produit d’intuition, de mystère, de poésie. A mesure que nous récoltons ce qui a germé spontanément dans le vaste empire de l’émotion, nous traitons de rêverie et de mensonge les puissances à qui nous devons cette récolte.

Téméraire ingratitude ! Il faut sauver l’antique royaume de l’esprit ; il faut dégager et unifier tout le domaine du sacré. J’ai besoin de relier ce qui est divers et qui semble s’opposer, et que pourtant mon cœur accueille. J’ai besoin d’unité dans l’univers et dans mon cœur. J’ai besoin de sentir mes rapports avec toutes choses et que toutes les parentés éclatent ; j’ai besoin qu’un dialogue, long ou court selon les espèces, s’établisse entre moi, toutes les choses et tous les êtres. Si mon regard était assez, fort, je voudrais n’avoir pas de limite ; je veux du moins, aussi loin qu’il se porte, comprendre, accepter mes rapports avec tout ce qui survient dans mon horizon. La terre est enserrée dans un réseau divin dont je ne voudrais rompre aucune des mailles innombrables. Je n’éliminerai pas ces