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réserves étaient loin d’avoir été épuisées. Nos impôts pouvaient, sans fléchir, fournir un rendement plus considérable. Ce merveilleux système fiscal, qu’on a depuis tant calomnié, a montré alors toute sa souplesse et sa fécondité. Enfin, en 1871, nous avions au pouvoir M. Thiers qui, avec sa grande expérience et son ferme bon sens, a fait justice des chimères où des réformateurs croyaient trouver une panacée, et nous avons aujourd’hui M. Caillaux. Laissons d’ailleurs ces comparaisons entre le passé et le présent pour nous en tenir à celui-ci. M. Ribot a essayé, en vain, de connaître les intentions de M. le ministre des Finances ; après lui, M. de Lamarzelle et M. Touron, tous les deux avec beaucoup de talent et de force, sont revenus à la charge ; M. Caillaux est resté dans une réserve sibylline, remettant ses explications à plus tard. Il en a dit cependant assez pour en laisser entrevoir le sens. Son discours a montré la préoccupation constante de mettre les diverses classes du pays en opposition les unes avec les autres, et peu s’en faut qu’il ne les ait simplement divisées en riches et en pauvres, pour conclure que toutes les charges devaient porter sur les premières dans des proportions qui les écraseraient. M. Ribot a repris la parole et, dans une improvisation éloquente, émue, pressante, il a adjuré M. Caillaux d’oublier qu’il était homme de parti, chef de parti même, pour se rappeler seulement qu’il était ministre des Finances. Son discours, reproduit le lendemain par tous les journaux, a eu un grand retentissement dans le pays tout entier. M. Caillaux n’y a rien répondu et la discussion s’est trouvée close, mais cette clôture est toute provisoire, le débat recommencera bientôt.

Nous ne savons encore que très partiellement à quoi M. le ministre des Finances a employé ses vacances. Il avait promis de faire des économies, de larges économies ; la France y comptait ; nous commençons à craindre que, sur ce point encore, elle n’ait une déception. Le chiffre avoué, du déficit s’élève à 794 millions. M. Caillaux s’était fait fort de le réduire à 600, s’engageant parla à en économiser 194. Un journal officieux nous a annoncé que cet habile prestidigitateur faisait à la France, pour ses étrennes, un premier « cadeau » de 50 millions. Le mot de « cadeau » paraîtra singulier. C’est l’impression qu’aurait certainement chacun de nous si on lui disait : — Je vais vous prendre 100 francs… Non : décidément je me contenterai de 80, je vous fais « cadeau » du reste. — M. Caillaux ne nous fait cadeau que de ce qui nous appartient. 50 millions ne sont d’ailleurs qu’une petite fraction des 194 qu’il avait promis d’économiser. Mais du moins ces économies