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beaucoup d’analogies entre le Chèvrefeuille et André Cornélis, où se trouve pareillement un type de meurtrier du grand monde et d’assassin sympathique. Aude est la Furie domestique. Ce qui lui est particulier, c’est l’abondance de verbe et la puissance d’invective que M. d’Annunzio a mises en elle, et c’est le lyrisme par lequel se traduisent les sentimens orageux de son âme exaltée. Poète, l’auteur s’est attaché à traduire, sous une forme éclatante de poésie, la souffrance, la colère, la honte, le mépris, la révolte, la vengeance et la haine, toutes les passions qui peuvent gronder dans un cœur tourmenté. A-t-il fait ainsi une tragédie ? Oui, à la manière dont en faisait le romain Sénèque. C’étaient des tragédies destinées non à être représentées, mais à être lues en public. On réunissait, non dans une salle de théâtre, mais dans une salle de conférences, un auditoire de lettrés. Devant ce public de raffinés, moins soucieux de péripéties qu’amoureux de mots, l’auteur exécutait, sur les thèmes connus des légendes tragiques, des variations somptueuses. Notez que Sénèque, et non Sophocle, a été le maître de nos tragiques de la Renaissance. C’est lui encore qui a enseigné à l’auteur du Chèvrefeuille l’art de la belle déclamation.

Le personnage d’Aude de la Coldre a trouvé en MIle Roggers une interprète tout à fait remarquable ; la vaillante artiste a lancé, avec une sombre et infatigable énergie, cette sorte de long anathème en quoi consiste ce rôle terrible. Les autres acteurs n’ont pas dépassé une honorable moyenne. La mère c’est Mme Berthe Bady ; et M. Le Bargy n’a tiré aucun parti du rôle de Pierre Dagon, mais je ne crois pas qu’il y eût mieux à en faire.


A côté du drame lyrique de M. d’Annunzio il est amusant de placer le bon mélo de M. Tristan Bernard, Jeanne Doré, pour jouir un peu du rapprochement et reprendre pied dans la prose quotidienne. Point d’omemens et point de fioritures : le fait-divers découpé en tranches. Le fils de la papelière a une maîtresse aux dents longues. Pour subvenir aux besoins de cette petite bourgeoise avide et rusée, il vole et assassine son parrain, le vieux Michaud, tonnelier. Arrêté par les gendarmes, il est mis en prison et comparaît devant les assises. Les jurés ne trouvent aucune excuse à ce jeune fêtard, aucune circonstance atténuante à ce meurtre qui a eu le vol pour mobile. Jacques Doré sera exécuté. C’est, comme fait-divers, ce qu’on peut imaginer de plus vulgaire, et M. Tristan Bernard l’a choisi exprès. C’est la banalité même, et si M. Tristan Bernard avait trouvé banalité plus