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La mère s’en va désespérée, soutenue par son fils. Restent en scène les deux belles-sœurs, Hélissent et Aude. Lorsque parait un visiteur… Il s’est trompé de chemin, il s’excuse. C’est un homme très bien élevé, très poli et très bien mis. Aude aurait-elle vu le diable en personne, elle ne s’enfuirait pas avec plus de précipitation et plus d’effroi. Hélissent par sa bonne grâce répare ce que cet accueil a eu de peu hospitalier. Elle est au contraire très accueillante au nouveau venu, très hospitalière, et nous devinons tout de suite qu’il ne lui déplaît pas ; et vous, vous avez deviné que c’est Pierre Dagon, Dagon le traître, l’infernal Dagon, Satan-Dagon.

Ce premier acte serré, tendu, vous saisit, vous étreint, vous empoigne ; et je ne dis pas absolument qu’il vous émeuve, mais, incontestablement, il vous remue.

Au second acte, la chambre d’Aude. Derrière ses rideaux, Aude, malade, après une nuit d’insomnie, repose d’un sommeil agité et qui n’est pas sans rêves. Clariel entre, l’inévitable Clariel, car M. d’Annunzio a voulu qu’elle parût au début de chaque acte, et il a certainement ses raisons pour cela. Et voici recommencer le babillage de cette Hirondelle, qui est plutôt une perruche. Elle apporte des fleurs, ce qui est absurde, car l’hygiène la plus élémentaire bannit les fleurs, surtout les fleurs d’Italie, très odorantes, des chambres de malades. Au lieu de disposer ces fleurs dans des vases, comme nous faisons tous, elle les répand à terre, ce qui est infiniment prétentieux. Elle fait parler la femme de chambre, comme si elle-même ne parlait pas pour deux. Elle insiste pour entr’ouvrir les rideaux et regarder Aude dormir, ce qui est d’une affreuse indiscrétion. Et elle éclate en sanglots, ce qui a pour immanquable effet de réveiller la donneuse.

Aude est réveillée, mais de son sommeil, non de ce cauchemar où maintenant elle vit perpétuellement. Elle est comme un personnage fantastique, qui surgit du mystère et qui glisse dans l’ombre ; elle a des sandales muettes et des manteaux couleur de muraille ; elle passe son temps à épier, raser les murs et les sonder, écouter derrière les portes des gens qui font quelque chose. Et elle crie, elle invective, elle maudit, elle jette des sorts. Elle est l’oiseau de mauvais augure, la prophétesse de malheur, Cassandre ou Guanhumara. Elle est de plus en plus extraordinaire.

Ici une conversation avec Hélissent, si on peut appeler conversation ce qui est un colloque, une dispute, une attrapade, comme en ont entre elles ces dames de la Piazza delle erbe. Hélissent commence à être excédée de l’attitude, des airs, du langage d’Aude, qui dépasse les limites