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nous l’énergique volonté de vivre. L’optimisme vital de la France se voile sur certains points, mais il éclate sur tant d’autres ! Aveugles ceux qui ne le voient pas et coupables ceux qui le nient ! Chantecler claironne toujours. Chaque matin, au Maroc, il sonne le réveil de nos colonnes, et, en Champagne, sur le guidon de nos aviateurs, il perce les nuages que les vents d’Est poussent vers nous. Il a lancé ces temps derniers quelques appels plus sonores, où l’on sentait l’alarme, et on sait de quelle manière l’âme du pays s’est redressée pour répondre. Il a d’ailleurs d’autres chants, plus pacifiques, qui ne sont ni moins significatifs, ni moins beaux. Le vieux foyer brûle toujours. D’où viendront les souffles vivifians qui feront monter sa flamme en gerbes triomphantes ? D’où, sinon de nous-même et de notre effort d’éducation nationale, qui doit trouver là sa justification, sa mesure et sa fin. C’est sur cette décisive épreuve qu’un jour il sera jugé.

Certes l’entreprise est effrayante de vouloir accorder le même effort sur l’intelligence et sur l’instinct de vie, sur la raison et la science, d’une part, de l’autre, sur l’optimisme vital, mystérieux dans ses origines, obscur dans ses élans, rempli de raisons que la raison ne comprend pas, et dont on voit couler les larmes au chant d’une pauvre et vieille chanson. Il y a une opposition fondamentale et troublante. Nous souhaitons souvent le triomphe définitif de l’intelligence et la ruine d’une foule de choses qui la choquent et la déroutent. C’est de tous les souhaits le plus insensé, et fort heureusement le plus chimérique. Nous ne survivrons pas longtemps à l’abolition en nous du génie de la vie. Résignons-nous donc en méditant le mot mélancolique et profond de Joubert qu’il faut savoir s’aveugler pour vivre.


X

Comment l’école conduira-t-elle son effort éducateur entre les deux grandes forces qui se partagent notre âme ? Il n’est pas de question plus grave. Nous venons de montrer dans un cadre restreint les difficultés qu’elle rencontre et qui expliquent en partie son impuissance. Nous attendions d’elle beaucoup de bien : elle n’est vraiment pas responsable de tout celui qu’elle ne nous fait pas.