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M. Maurice Barrès n’apprend rien à Colette Baudoche, mais il tient d’elle tout ce qu’il sait, dont il nous touche et ravit jusqu’aux larmes. Quand les forces ennemies dissimulent leurs procédés de mort pour les rendre plus subtilement dangereux, la petite Lorraine trouve dans son cœur le secret qui les déjoue : elle est d’une race en qui le perpétuel qui-vive de la frontière a singulièrement exalté l’instinct de vie. Et n’est-ce pas miracle qu’un cœur de vingt ans repousse un amour loyal, sincèrement offert, pour ne pas renier des morts qu’elle n’a jamais vus, par tendre et délicate piété pour toute une jeunesse de France, tombée autour de Metz dans d’héroïques batailles, au fond et inconsciemment, mais en vérité, pour ne pas signer le pacte de l’abandon et de la mort ?


IX

Il faut beaucoup attendre du cœur. C’est là que se cache, se réchauffe, se nourrit le précieux optimisme, sensibilité exquise, tact suprême, « esprit de finesse » supérieur dans le sens de la vie. Il est un spécialiste de vie transcendant, auquel on a toujours recours dans les cas difficiles ou désespérés. L’intelligence prenant son essor, s’est-elle peu à peu dégagée de l’instinct, resté en nous comme une survivance, ou sont-ils l’un et l’autre deux élans de vie, différenciés d’emblée, et ordonnés dès l’origine sur des fins différentes ? Le débat, d’ailleurs considérable, ici ne nous importe pas. Ce qui est hors de doute, c’est qu’à mesure que l’intelligence monte, justifiant les plus hautes ambitions par d’étonnantes victoires, elle réduit le rôle de l’instinct et le refoule dans l’ombre. Mais il est toujours là, prêt à la suppléer quand elle tombe en défaut, précieux, indispensable compagnon. L’analyse rétrospective de notre vie individuelle nous montre une foule de tournans dangereux où l’intelligence, impuissante, nous laissait en détresse : une inspiration a surgi, venue on ne sait d’où, qui nous a remis en marche. Dans une imperceptible phase d’inconscience, l’instinct de vie a joué. Ce qui est vrai des individus ne l’est pas moins des peuples. Ils s’avancent parfois dans l’éclat d’une civilisation brillante, semblables à un homme qui porte, au milieu de la nuit, un phare puissant, dont il dirige les rayons vers lui-même. Une