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affranchissement intellectuel, mais l’ivresse d’être libéré de certaines contraintes morales ; ils sont peu disposés à accepter des contraintes semblables que leur imposerait une foi nouvelle dans un autre idéal.

Ce sont autant de questions qu’il faudrait longuement examiner si l’on voulait chercher sous quelle forme, par quelle ouverture, par quel émoi l’idéal et la foi reparaîtront dans les âmes. Nous ne pouvons nous en passer, ni pour enseigner la morale à l’école, ni pour fonder la cité future, ni même pour ne pas mourir. Idéal et foi, vieux mots, vieilles choses, qu’accompagnaient des airs d’une douceur infinie ! Faut-il faire table rase ? La raison peut en concevoir le dessein ; l’entreprise a paru belle, hardie et tentante, mais, pour l’exécuter, il faut le consentement de l’âme tout entière. C’est le point capital du problème, et même tout le problème, qui est de pure psychologie.

En attendant, il y a vacance d’idéal et de foi dans l’âme paysanne. Un vide s’y est produit et il arrive ce qu’on pouvait prévoir : le matérialisme s’y précipite et s’y établit, un matérialisme avisé, pratique, servi par les circonstances économiques, armé par la culture intellectuelle, d’autant plus dangereux qu’il sait trouver des couleurs pour se dissimuler. En dépit des apparences, malgré des progrès en politesse, en langage, en tenue, malgré des mœurs plus douces et une certaine élégance extérieure de l’âme, le matérialisme des paysans est bas, lourd, très toxique. Il détermine de l’anesthésie morale. C’est sur ce terrain ingrat que l’école, d’une main encore novice, doit jeter, sa semence.


VIII

Les difficultés sont vraiment grandes et on’ s’explique que bien des gens se montrent découragés. C’est un sentiment dont il faut se défendre. Outre que la dépression de l’âme nuit à notre clairvoyance, c’est d’avance être vaincu que de croire qu’on le sera. Nous continuons à mettre dans l’effort de l’école, — dont il est permis de penser que ni les méthodes, ni l’esprit ne sont définitifs, — les grands espoirs d’un optimisme que rien ne saurait ébranler.

On trouvera qu’il y a dans cet optimisme quelque naïveté