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est ici la foi dont les effets sont encore plus merveilleux que ceux qui nous éblouissent dans le domaine de la matière.

Les idées de justice, de fraternité, de solidarité, d’altruisme, de science, de progrès, remplissent l’idéal nouveau. Leur beauté n’a d’égale que leur clarté. Précisément celle-ci est un obstacle, L’idée, pur phénomène de clarté intellectuelle, est incapable de nous faire mouvoir un brin d’herbe. Elle devient force par sa liaison avec les tendances antérieures de la volonté et avec certaines images motrices d’activité, par l’émotion dont elle s’accompagne et surtout par la foi qu’elle fait naître. La foi reste la grande force par qui l’homme se dépasse, dépasse sa science et « peut beaucoup plus qu’il ne sait. » Or la foi ne sort pas de la portion claire de l’idée, mais de celle qui reste dans l’ombre. C’est le mystère qui excite l’imagination, la curiosité, le désir, l’impatience, l’amour, trouble toute la sensibilité, l’exalte et détermine ainsi la genèse psychique de la foi. Voici par exemple l’idée de charité, où l’on trouve une première notion, parfaitement claire, qui est celle de nos devoirs d’amour envers nos frères, et une seconde, très différente, qui est celle de notre amour pour Dieu, le Père commun, d’où découlent ces devoirs. Les deux notions sont inséparables, puisque les deux amours ne font qu’un. Pascal a marqué cela en traits inoubliables. Qui ne voit maintenant que si l’idée moderne de solidarité, pourtant si belle, ne peut enfanter les étonnans prodiges de la charité, c’est que celle-ci prend une force incalculable dans tout le divin qui l’enveloppe et la transfigure.

Ne sortons pas de chez les paysans. La solidité du lien, qui les attachait à la terre, venait du mystère de sa fécondité, objet d’étonnemens qui se traduisaient par une foule de légendes et de pratiques naïves d’un caractère religieux. A mesure que le mystère s’éclaircit, la foi se dissipe et le lien se relâche. La science ne détruira pas le sentiment religieux, parce qu’elle ne peut résoudre le plus angoissant des problèmes, qui restera matière de croyance mystique. Mais elle ruinera peu à peu l’âme paysanne en- expliquant le pourquoi et le comment des phénomènes dont l’obscurité était cause d’une foi qui constituait le fond même de cette âme[1]. En définitive, clarté et foi

  1. L’école, par un effort d’éducation, doit maintenir et fortifier l’âme paysanne, tout en l’adaptant. Nous avons récemment étudié cette question sur laquelle il y aurait encore beaucoup à dire. Voyez la Revuevdu 1er juillet 1912.