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nous le pourrions dans un chapitre qui ne serait pas sans saveur. Le relâchement des mœurs est très préjudiciable à l’enfant, mais un autre, plus général, l’atteint davantage.

Le village, auquel nous pensons, n’est pas le nôtre, perché sur un sommet, ni le voisin, qui se cache dans la vallée. Il n’est ni celui-ci, ni celui-là, il est partout et nulle part, il n’a pas de nom, il n’existe pas et cependant rien n’est plus vrai que ce que nous allons en dire. Ce n’est pas d’ailleurs le fond des choses qui nous retiendra, où il y a infiniment de bien, beaucoup plus qu’il n’en paraît à la surface, car nous sommes encore de très braves gens, en vertu d’habitudes, de disciplines, d’imprégnations anciennes, dont nous gardons le nécessaire, guidés par l’instinct de vie. Ce qui nous intéresse, c’est ce qu’on voit, ce qu’on dit, ce qu’on entend, ce qui compose l’atmosphère morale que l’enfant respire. Nous la voudrions montrer par quelques traits pris au hasard, réunis sans ordre, auxquels bien d’autres pourraient s’ajouter, non sans faire remarquer qu’on parle peu de ce qui est bien et beaucoup de ce qui est mal :

— Domestiques, ouvriers, métayers travaillent mal, trompent, manquent à tous leurs engagemens parce qu’ils savent qu’il est difficile de les remplacer. — Quand les vieux parens coûtent plus qu’ils ne rendent, on les abandonne, l’hôpital et les bureaux d’assistance n’étant pas faits pour les chiens. — Une foule de délits sont commis qu’on ne poursuit pas ou qu’on pardonne quand ils sont poursuivis. — D’une façon générale, on arrange et on étouffe beaucoup d’affaires, même graves. — Un incendie éclate et deux fois sur trois on dit couramment que l’homme sait bien avec quelle allumette le feu a été mis. — De ne pas payer des dettes, autrefois déshonneur, passe aujourd’hui trop souvent pour une habileté. — Le moulin, qui fournit la lumière au village, a été mis en régie municipale : on parle beaucoup d’un ingénieux procédé pour modérer le fonctionnement des compteurs et s’éclairer à moitié prix. — La chasse n’est permise que cinq mois de l’année, mais on s’arrange pour manger du gibier en tout temps. — Il est défendu de garder les bestiaux sur les routes, à cause de leur piétinement qui ruine les fossés, et de temps en temps un procès-verbal est dressé, qui n’a jamais de suites. — Les cafés doivent se fermer à onze heures du soir, mais on y peut faire la partie jusqu’au matin. — Un