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voir, par cette harangue aussi ingénieuse qu’obligeante, combien on reste fidèle, dans les îles de l’Archipel grec, au souvenir des Français illustres, aux poètes, aux orateurs, aux peintres qui, par la plume, par la parole, par le pinceau, se sont associés de tout cœur à l’effort national des Hellènes, et surent émouvoir l’opinion européenne par l’émulation libérale des plus généreux talens. On me parle de Chateaubriand, de Victor Hugo, d’Eugène Delacroix, de Fustel de Coulanges. Je vois les enfans des écoles, sous la conduite de leurs maîtres, saluer d’un geste militaire, la main au képi, l’appel de ces grandes ombres et la pieuse évocation du nom de la France libératrice. Ces gentils écoliers ont un costume de toile kaki, presque guerrier, à peu près pareil aux uniformes commodes et souples que l’armée grecque, organisée par l’affectueuse collaboration des instructeurs français et de l’état-major hellène, vient de porter victorieusement sur les champs de bataille de l’Epire et de la Macédoine. On habitue déjà ces enfans aux modernes disciplines de la guerre, selon des méthodes renouvelées du stade ancien. On leur enseigne que, pour avoir la paix, il faut la mériter, et que la doléance du droit méconnu a toujours besoin d’être confirmée par l’appel aux armes. Ici, les instituteurs sont aussi des instructeurs. La Grèce d’aujourd’hui veut être forte. Ce peuple aimable et intelligent a compris qu’en ce bas monde il ne suffit pas d’être aimé. Ce monde est ainsi fait qu’il respecte uniquement ce qu’il craint. On ne s’impose, hélas ! que par la raison du plus fort. Chacun doit travailler à devenir plus puissant pour être meilleur. Ces enfans, dont les parens n’osaient pas prévoir les événemens d’aujourd’hui, auront ainsi leur part de l’entraînement national qui mobilisa moralement et matériellement tous les Hellènes pour la libération de l’hellénisme. On leur fait faire d’emblée l’apprentissage de la liberté. Et c’est sous l’inspiration directe des idées françaises, qu’on les invite aux nobles délices de cette vie nouvelle.

Ma réponse aux hôtes charmans qui m’ont accueilli avec une bonne grâce si éloquente, sur le seuil de leur demeure, est dictée par lai sincère émotion que j’éprouve à entendre crier ainsi autour de moi : « Zitó i Gallia ! Vive la France ! » Je songe à ces Massacres de Chio, dont l’horreur a été, pour ainsi dire, rendue visible et palpable, en un chef-d’œuvre de pitié, de colère et d’épouvante par le génie tragique et courroucé