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française dans ces marches pénibles. Les Américains, que la curiosité amène par milliers dans nos camps, y sont reçus, dit-il, avec allégresse ; on fait jouer pour eux nos instrumens militaires qu’ils aiment avec passion. Alors officiers, soldats, Américains, Américaines, tous se mêlent et dansent ensemble : c’est la Fête de l’Égalité ; ce sont les prémices de l’Alliance qui doit régner entre ces nations. » Washington écrit de se méfier des espions : « L’ennemi enverra des émissaires dans votre camp, vêtus en paysans, apportant des fruits et autres objets et qui prendront note de chaque mot qu’on pourrait dire. »

Beaucoup d’officiers, pour donner l’exemple, descendent de cheval, et, insoucieux des fondrières et de la chaleur, font la route à pied, tel le vicomte de Noailles, colonel en second de Soissonnais, qui parcourut ainsi la distance de 756 milles (plus de douze cents kilomètres) séparant Newport de Yorktown. Il y eut peu de maladies. « Les attentions des officiers supérieurs y ont infiniment contribué, écrit l’abbé, en ne permettant pas aux soldats de boire de l’eau qu’il n’y eût du rhum. » Il ne dit pas qu’aucun se soit révolté contre cette règle de discipline.

Le 6 juillet, s’effectua à Philipsburg, « à trois lieues, dit Rochambeau, de Kingsbridge premier poste de l’ennemi dans l’île de New York, » la jonction des deux armées, l’américaine ayant suivi, pour gagner le rendez-vous, la rive gauche de la rivière du Nord (Hudson river). Au reçu de la nouvelle, bien des semaines après, lord Germain, secrétaire d’État pour les Colonies, fut dans la joie et écrivit à Clinton qui commandait en chef : « La jonction des troupes françaises et américaines va, j’en suis convaincu, bientôt produire des dissentimens et mécontentemens, et M. Washington se trouvera dans la nécessité de les séparer, soit en détachant les Américains vers le Sud, soit en laissant les Français retourner dans le Rhode Island… J’ai confiance qu’avant cela lord Cornwallis aura donné aux habitans loyaux des deux côtés de la Chesapeake, l’occasion qu’ils recherchent depuis si longtemps de pouvoir déclarer leurs principes, et soutenir de leur effort l’autorité royale. » De semblables preuves de la perspicacité de mylord Germain abondent dans sa correspondance, pour partie inédite. Il continue, rempli de la plus vive satisfaction et parlant de la jonction avec une logique aussi sûre que Perrette de son pot au lait.

Washington, pendant ce temps, passait en revue les troupes