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jour, que Gates avait été battu à Camden et Kalb tué. En décembre, Ternay mourut. En janvier, les soldats de la ligue de Pennsylvanie se révoltèrent ; mal nourris, peu vêtus, non payés, maintenus sous les drapeaux longtemps après le terme de leur engagement[1], ils se portèrent, dit Closen, « à cette extrémité, » indignés du sort qui leur était fait : « en Europe, on le serait à moins. » Le danger fut grand, mais dura peu. Invités par l’ennemi à changer de parti et toucher une belle solde, ils répondirent : « Nous sommes d’honnêtes soldats réclamant justice de nos compatriotes ; nous ne sommes pas des traîtres. » Sur la marge d’un récit français de ces événemens publié à Paris en 1787, Clinton, commandant en chef des forces anglaises, a griffonné nombre d’observations demeurées inédites. Elles sont en français ou quelque chose d’approchant. En face du passage où est contée cette anecdote, il a écrit : « Est bien dit et c’est dommage qu’il n’est pas vrai. » Nous ne savons ; mais une chose est sûre : c’est conformément à cette réponse, faite ou non, qu’agirent les révoltés. Grâce au prestige de Washington, l’ordre régna bientôt, mais l’alarme avait été profonde, comme le montrent les instructions données par lui au colonel Laurens, envoyé maintenant à Versailles avec une mission pareille à celle du colonel Rochambeau. L’émotion causée par les derniers événemens se reflète dans sa dépêche : « La patience de l’armée américaine est presque à bout… la grande majorité des habitans est encore attachée fermement à la cause de l’indépendance ; » mais il faut que la France envoie d’immédiats et importans secours en argent, hommes et navires (15 janvier 1781).

Pendant que la présence des régimens français et américains dans le Nord maintenait Clinton et ses troupes immobiles à New York, la situation dans le Sud allait empirant avec Cornwallis à la tête de forces supérieures, lord Rawdon tenant Charleston et l’exécré Arnold ravageant la Virginie.

Contre eux, les troupes commandées par Green, La Fayette,

  1. Les promesses que formulaient dans leurs affiches les officiers recruteurs de l’armée de Washington étaient, selon l’usage, des plus alléchantes : « Grands sont les avantages assurés aux braves qui saisiront cette occasion de passer quelques années heureuses à visiter les différentes parties de ce superbe continent, en l’honorable et vraiment respectable profession de soldat, pour aller retrouver ensuite, à leur gré, leurs foyers et leurs amis, les poches PLEINES d’argent et la tête COUVERTE de lauriers. Dieu protège les États-Unis. » Les mots en majuscules sont ainsi dans l’original dont un exemplaire appartient à la Société historique de Pennsylvanie.