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et même imprimerie sont enfin à bord ; on est serré ; on se tasse ; tout ira bien. « Les troupes, écrit encore Rochambeau au ministre, ne seront pas surpressées et chaque soldat tient, suivant la règle des voyages lointains, la place de deux tonneaux. »

Quand tous furent à bord, toutefois, formant un total de 5 000 hommes, le maximum était si réellement atteint que nombre de jeunes officiers, portant les plus beaux noms et qui accouraient de jour en jour dans l’espoir de participer à l’extraordinaire expédition, durent être renvoyés. La flotte était déjà en haute mer, lorsqu’un cutter la rejoignit apportant à Rochambeau les dernières lettres du ministre ; sur le bateau se trouvaient les deux fils du Gouverneur de l’hôtel de la Guerre, suppliant qu’on les emmenât : « Messieurs Berthier nous sont venus joindre hier, écrit le général à Montbarey, ils nous ont remis vos lettres… Ils nous ont joints en veste et en cotte de toile, s’offrant à passer avec nous comme matelots. » Impossible de les prendre : « Ces pauvres jeunes gens sont intéressans et au désespoir, mais le chevalier de Ternay ne sait véritablement pas où les fourrer. » Renvoyés à terre, ils s’arrangèrent néanmoins peu après pour rejoindre l’armée française d’Amérique, et c’est ainsi qu’Alexandre Berthier commença dans la campagne de Yorktown cette carrière militaire qu’il devait terminer comme maréchal de France et prince de Wagram.

Toute sorte de circonstances fâcheuses retardèrent le départ qu’il importait d’effectuer avant que les Anglais fussent prêts : tempêtes, vents contraires, abordage de deux navires. « Heureusement, écrit Rochambeau avec sa bonne humeur accoutumée, il pleut aussi sur Portsmouth. » Enfin, le 2 mai, la flotte de sept vaisseaux de ligne et trois frégates convoyant trente-six transports prit le large : « Nous primerons Graves, qui doit partir de Plymouth du même vent, » écrivait encore le général qui, à cette heure solennelle, ajoutait avec une pointe d’émotion : « Je recommande les suites de cette expédition à l’amitié de mon cher et ancien camarade et au zèle de mon ministre pour le bien de l’Etat. »

En mer maintenant, pour une traversée de deux ou trois mois peut-être, avec la perspective de calmes, de tempêtes, de scorbut, de fâcheuses rencontres ; rien que de normal dans tout cela, et on le prend gaiement. A bord du grand