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s’est aperçu qu’il s’était trompé, ne modifie l’attitude du gouvernement allemand. Si on ne peut guère compter sur la Turquie, puisqu’elle met sa dignité à se subordonner et à s’asservir, il n’est pas impossible qu’à Berlin, on hésite à se brouiller décidément avec la Russie pour un intérêt dont nous ne méconnaissons pas l’importance, mais que les circonstances peuvent rendre plus apparent que réel.

La Russie aura notre concours, nous avons à peine besoin de le dire, et aussi celui de l’Angleterre, nous en sommes convaincu. Ce concours lui est d’autant plus assuré que l’Angleterre et nous avons, bien qu’à un degré moindre, le même intérêt quelle dans la question. Mais, avant de s’engager dans une affaire et d’y engager ses alliés et amis, il arrive quelquefois à la Russie de n’avoir calculé ni tous les obstacles, ni les moyens d’action à y opposer. De là des surprises subites, des découragemens, des reculs même. Il serait trop facile d’en citer des exemples : peut-être des souvenirs récens ont-ils facilité l’accord de l’Allemagne et de la Porte, qui se sont sans doute attendues à des résistances, mais ont pensé qu’elles seraient provisoires, et qu’on les vaincrait avec un peu de persévérance et de ténacité. Nous ignorons les moyens d’action du gouvernement russe. Les journaux disent qu’il attend de nous que nous ajournions l’emprunt turc : nous avons dit dans quelle situation nous met à ce sujet le vote de la Chambre. Les journaux disent encore que la Russie pourrait faire une opération en Asie, en Arménie : elle soulèverait par-là les plus redoutables problèmes et causerait encore plus de préoccupations à l’Europe que d’embarras à la Porte. Des compensations qu’elle s’assurerait en Asie ne modifieraient d’ailleurs en rien, et ne pourraient même qu’aggraver la situation à Constantinople. Le moyen le plus sûr d’obtenir satisfaction est encore, pour la Russie, de faire sentir à Berlin que, cette fois, l’affaire est sérieuse, et que la brouille qui pourrait en résulter entre les deux gouvernemens ne serait pas l’affaire d’un jour. Mais la Russie, dans sa faiblesse invétérée pour l’Allemagne, est-elle à même de lui donner fortement cette impression ?


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.