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longtemps oublié comme tant d’autres découvertes de Meusnier, et il n’a plus reparu qu’en 1870 dans le projet de dirigeable de Dupuy de Lôme. Enfin Meusnier eut le premier trois idées, qui, depuis, ont fait le chemin que l’on sait dans la navigation aérienne : donner au ballon pour le diriger la forme d’un ellipsoïde allongé ; le munir d’une nacelle construite pour pouvoir flotter dans le cas où l’on serait forcé de descendre en pleine mer ; enfin propulser le ballon parle moyen de rames en forme d’hélices (dans la pensée de Meusnier ce devaient être les hommes d’équipage qui manœuvreraient les rames). On conçoit toute l’importance qu’ont, pour l’histoire de la navigation aérienne, ces données nouvelles que nous devons à M. Darboux. Si on y ajoute les découvertes chimiques de Meusnier, celle notamment qui lui fournit un critère décisif, par l’analyse de l’eau, entre la nouvelle chimie de Lavoisier et celle du phlogistique, on comprendra le jugement de Monge qui considérait Meusnier « comme l’intelligence la plus extraordinaire qu’il eût jamais rencontrée. »

La carrière militaire de Meusnier nous fait voir tout ce que l’art de la guerre peut tirer du secours des sciences exactes. En 1786, alors qu’il était encore lieutenant et déjà membre de l’Académie des Sciences, son chef écrivait : « J’aperçois une grande disproportion entre Meusnier et le grade de lieutenant. » Nous avons connu, depuis, d’autres cas d’analogues disproportions. L’existence de soldat de Meusnier, sa mort héroïque devant Mayence, où il mourut d’un biscaïen dans d’atroces souffrances, supportées si noblement qu’un de ces compagnons d’armes a pu dire : « Lui seul était serein, lui seul ne versait pas de larmes, » tout cela a inspiré à M. Darboux des pages pleines de mâle et haute émotion.


Ce qui contribue à donner à ce volume son accent si particulier où l’on sent comme un frémissement de vie, c’est que son auteur n’est pas seulement un profond géomètre qui, dans les pures abstractions de la mathématique, a vu flotter des formes harmonieuses et nouvelles, mais étrangères à la vie. Il est aussi un homme d’action, à qui le beau mot de Térence peut s’appliquer ; et c’est pourquoi il sait si bien, par mille liens invisibles et tenaces, unir l’histoire du passé défunt aux choses actuelles, à celles où nous vivons, à toutes celles aussi dont nous mourons.

Dans son éloge de Henri Poincaré, M. Darboux a écrit : « Il n’était