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la garde royale à pied, sous-lieutenant. Le 10 juillet 1822, il est promu lieutenant ; il passe, en 1823, comme capitaine en premier, dans le 55e régiment d’infanterie. Que lui faut-il ? et est-il content ? A chaque instant, il demande des congés : deux mois en 1822, pour « affaires de famille ; » trois mois, en 1824, et la prolongation d’un mois ; à la fin de cette même année, trois mois encore, jusqu’au 20 mars 1825 ; alors, une prolongation ; le 20 août, prolongation nouvelle ; le 1er janvier 1826, nouveau congé qui sera, dit-on, le dernier ; mais le 21 novembre 1826, nouveau dernier congé, le dernier vraiment, car le 13 mars 1827 le capitaine adresse au ministre de la Guerre sa démission. Que s’est-il passé ? Lisons Servitude et grandeur militaires : « Vers la fin de l’Empire, je fus un lycéen distrait. La guerre était debout dans le lycée, le tambour étouffait à mes oreilles la voix des maîtres, et la voix mystérieuse des livres ne nous parlait qu’un langage froid et pédantesque. Nulle méditation ne pouvait enchaîner longtemps des têtes étourdies sans cesse par les canons et les cloches des Te Deum. Lorsqu’un de nos frères, sorti depuis quelques mois du collège, reparaissait en uniforme de housard et le bras en écharpe, nous rougissions de nos livres et nous les jetions à la tête des maîtres. Les maîtres mêmes ne cessaient de nous lire les bulletins de la Grande Armée et nos cris de : Vive l’Empereur ! interrompaient Tacite et Platon. Nos précepteurs ressemblaient à des hérauts d’armes, nos salles d’études à des casernes, nos récréations à des manœuvres et nos examens à des revues… » Alors, le jeune Vigny sent en son cœur, plus fervent que jamais, l’amour de la gloire militaire. Il lui semble que la guerre est « l’état naturel » de la France. Il ne désira que de se jeter dans l’armée, comme dans le torrent qui emportait les âmes les plus frémissantes de l’époque. Eh bien ! il eut cette aubaine d’entrer dans l’armée à dix-sept ans, et dans l’armée du Roi, selon la coutume de ses ancêtres. Quel est son déplaisir ? En peu de mots, le voici : « J’appartiens à cette génération née avec le siècle, qui, nourrie de bulletins par l’Empereur, avait toujours devant les yeux une épée nue et vint la prendre au moment même où la France la remettait dans le fourreau des Bourbons. » Il fut soldat quand les soldats n’allaient plus être occupés ; et ainsi l’armée n’alimenterait pas son appétit de l’action, fier appétit que la prodigieuse fièvre de l’Empire avait surexcité.

C’est bien le malaise de toute une génération française qu’Alfred de Vigny décrit comme le sien. Servitude et grandeur militaires est de 1835 ; l’année suivante parut la Confession d’un enfant