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c’était la morale, et la moralité elle-même que l’on risquait d’affaiblir, et peut-être même de ruiner ; et quand on a conscience d’une pareille besogne, on conçoit qu’elle répugne à certaines délicatesses : tout le monde n’a pas l’âme d’un « combiste » impénitent. !

Cet état d’âme, il faut en féliciter la corporation, est devenu extrêmement rare parmi les hommes de lettres d’aujourd’hui. Tous, ou presque tous, d’ailleurs, ont subi, plus ou moins directement, l’influence doucement apaisante d’un très grand et généreux Pape, — auquel, demain, on rendra justice, — et qui a usé sa vie et son génie à dissiper tous les vieux malentendus entre « l’Eglise et le siècle. » Pour nous en tenir à ceux que nous avons étudiés, voyez combien leur attitude à tous, quand elle n’est pas même chaleureusement sympathique, est profondément, sincèrement respectueuse à l’égard des choses religieuses. Ne parlons pas de Vogué, si naturellement, si généreusement déférent pour tout ce qui est chose d’âme et de conscience, et qui, même lorsqu’il n’adhérait pas, même lorsqu’il constatait, dans cet ordre d’idées, des mesquineries ou des ridicules, ne se fût pas pardonné même un léger sourire. Mais M. Jules Lemaître qui, lui, sourit quelquefois, et même égratigne, si l’on excepte peut-être Serenus, son œuvre ne dément pas trop ce qu’il disait au début de sa carrière, lorsque, parlant de M. France, et énumérant les avantages d’une éducation ecclésiastique, il ajoutait : « Et (sauf le cas de quelques fous ou de quelques mauvais cœurs), quand plus tard la foi vous quitte, on demeure capable de la comprendre et de l’aimer chez les autres, on est plus équitable et plus intelligent. » Mais Pierre Loti, dans lequel de ses livres n’a-t-il pas proclamé son respect attendri pour tous les symboles, pour toutes les formes du sentiment religieux ? dans lequel n’a-t-il pas jeté son cri d’adoration éperdue pour la réalité ineffable qu’il pressentait derrière toutes ces images et toutes ces formules ? Et puisque nous n’avons pu la citer dans l’étude que nous lui avons jadis consacrée, rappelons ici l’admirable page, presque testamentaire d’accent et d’intention, qui termine Un pèlerin d’Angkor :


La souveraine Pitié, j’incline de plus en plus à y croire et à lui tendre les bras, parce que j’ai trop souffert, sous tous les ciels, au milieu des enchantemens ou de l’horreur, et trop vu souffrir, trop vu pleurer et trop vu prier. Malgré les fluctuations, les vicissitudes, malgré les révoltes