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par des voies fort différentes, à des conclusions identiques. L’un, M. Bourget, en sa qualité de psychologue et de romancier, faisait profession d’étudier l’âme humaine sur le vif, dans la réalité quotidienne de ses passions, de ses maladies même. La question qui se posait à lui, qu’il rencontrait à chaque pas de ses études, de ses réflexions, de ses expériences, c’était celle de la nécessité d’une morale, non pas d’une morale théorique, abstraite, codifiée sur le papier « qui souffre tout, » comme le disait déjà la grande Catherine, mais d’une morale pratique, efficace, et capable, dans la réalité de la vie, d’imposer un idéal, de faire respecter des règles, de refréner des passions et, tantôt en les stimulant, tantôt en les bridant, d’agir sur des volontés. A la question ainsi posée on sait quelle réponse a finalement faite l’auteur du Disciple. Il a trouvé, à l’usage, les prescriptions de la morale rationnelle toutes platoniques et inefficaces ; seule la morale religieuse, et, plus précisément, la morale chrétienne, plus précisément encore, la morale catholique lui a paru remplir toutes les conditions d’une morale véritable et réellement agissante. Nous voilà bien loin du temps où Edouard Rod rattachait M. Bourget au groupe des « négatifs. »

A ce groupe jamais personne n’a été tenté d’agréger Brunetière, bien qu’il se soit trouvé quelqu’un pour le mettre au rang des « malfaiteurs littéraires. » Lui aussi, de très bonne heure, il était en quête d’une vraie morale, et, nourri des enseignemens de ses maîtres, plein de défiance à l’égard de l’idée religieuse, il cherchait en dehors d’elle la doctrine souhaitée. Un moment, sous l’influence de Schopenhauor, il crut l’avoir trouvée. En « laïcisant » les enseignemens des grandes religions, il crut qu’on pourrait constituer une morale qui aurait à la fois l’autorité de la morale religieuse et l’intelligibilité des morales rationnelles. Vit-il un jour tout ce que cette « laïcisation » comportait d’arbitraire, comprit-il qu’elle ressemblait à un éclectisme d’un nouveau genre, et se rendit-il compte qu’étant une invention tout humaine, elle perdrait immédiatement aux yeux des hommes l’autorité même dont il voulait l’armer ? Ce qui est sûr, c’est qu’un jour vint où cette solution lui parut bâtarde et ruineuse. Et les fortes paroles de Scherer s’imposaient à son esprit :


Sachons voir les choses comme elles sont : la morale, la bonne, la vraie, l’ancienne, l’impérative, a besoin de l’absolu ; elle aspire à la