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comptoirs, tant de parfums, de savons, de cotonnades, de soies en pièces, de services à thé, de liqueurs diverses, d’images, de photographies.

Au bout de la place en rectangle, le dispensaire du « toubib » est ouvert à la file des malades. Beaucoup viennent consulter, pour leurs ophtalmies des sables, ce jeune blanc à barbe légère et à veste galonnée d’or qu’à l’intérieur d’une salle nue les infirmiers noirs assistent. Des enfans lui sont présentés par des mères kountas aux yeux doux. Leurs fronts anxieux se rident sous le diadème de cuir, sous la coiffure nattée ; et, quand elles se baissent, les riches pendeloques de leurs tempes caressent le poupon criard de leur or en losange, de leur ambre en boules. Avant de dire à l’interprète enturbanné le mal des petits, ces dames touchent, sur leurs poitrines, le cuir polychrome des trois scapulaires à gris-gris. Sans ôter son litham, le Targui colossal en ses larges braies bleues, montre un moignon dévoré par les ulcères. De haut, le guerrier regarde ce petit médecin de notre Midi, actif et bienveillant, qui, lui-même, lave les plaies, examine, et panse ; mais qui ne sait pas, comme le marabout, citer la surate, l’inscrire sur un papier. Réduite en cendre et lue dans l’eau, la maxime guérirait, seule, cette blessure. Que peut faire un remède sans la surate correspondante ?

Cette paysanne berbère, à la mine féroce et vengeresse dans 6a face large, dénude, sans pudeur, un torse modèle que, de leurs travaux dermatiques, sillonnèrent les acarus de la gale. L’orgueilleuse patiente semble prête à poignarder l’interprète barbu, sans doute plaisantin. Lui se carre, sous les franges de son turban, dans une mante de soie brune. Il ne semble pas redouter cette colère de fille noire à la chevelure cordée. Il continue de l’agonir.

De ces cliens basanés, les uns s’étonneront si le remède n’a pas guéri en quelques jours ; et ils perdront confiance. D’autres reviendront à la visite ; mais ils auront omis de suivre le traitement. Ceux-ci joindront à la thérapeutique française les soins bizarres du griot ; car ils estiment qu’une double médication doit accélérer le résultat. Néanmoins, s’ils doutent souvent des remèdes absorbés en pilules, cachets ou potions, nul ne méconnaît l’efficacité du pansement. La cicatrisation prompte de leurs plaies les convainc. Tuberculeux et cardiaques envient