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terre sèche, les couloirs en boyaux, les rues tortueuses et les campemens de nomades. Cette existence devait être habituelle à bien des gens sous le règne de Ahmadou-Hamadou empereur du Macina.

Parti du Maroc, le docteur autrichien Lenz entrait dans la ville en juillet 1880, à travers une zone de décombres, bien qu’il reconnût le bon état des trois mosquées, et bien qu’il décomptât vingt-mille citoyens ; on était au moment où les caravanes arrivent du désert. Les Roumas Marocains et des Bekkaï-Kounta détenaient le pouvoir. La guerre entre Touareg et Peuhls interrompait les communications. Elle menaçait la ville de famine. Aussi Lenz ne put-il même visiter Kabara ni voir le Niger. Il assista seulement à de nombreuses ventes d’esclaves, principaux objets d’exportation. La gomme, les plumes et l’or alimentaient de bien moindres transactions.

Le plus important marché aux captifs demeurait donc, à cette époque même, entre les mains de l’élite marocaine et de ses amis, des armas songhaï, des Bekkaï, acheteurs indispensables au commerce du conquérant négrier. Ces nécessités expliquent suffisamment qu’on les épargnât depuis les origines de la cité, et qu’ils aient pu résister aux pachas, aux empereurs peuhls, aux Toucouleurs, même aux furies des Touareg.

Les guerres à captifs, depuis tant de siècles, enrichissent tout le Soudan. À cette date de 1880, Samory atteint le Niger. Il commence la série des invasions fructueuses en asservissant les villageois bambaras de la rive droite, selon l’exemple d’El-Hadj-Omar, et d’Ahmadou.

Mais la République Française va mettre fin à cette série de massacres, de ravages, et d’exterminations. Cinq mille hommes menés par nos officiers vont en affranchir dix millions, en supprimant les derniers faiseurs d’esclaves et leurs armées. Dès 1894, nous serons devant Tombouctou épouvantant les Touareg Kel-Antassar maîtres de la ville. Maîtres les plus injustes, les plus féroces de toute l’histoire africaine, les Touareg Kel-Antassar pourtant dépassent la mesure.

A tel point que, sauf les très riches et les très pauvres, la population a fini par émigrer. Il ne reste plus que six mille habitans vêtus de haillons pour ne pas attirer les convoitises, et blottis, avec leurs marchandises, dans l’ombre de leurs maisons lézardées, éboulées à demi, qu’entourent des huttes