Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
ESQUISSES MAROCAINES.

hardi contact avec les populations moghrebines ont mis à même de démêler ces élémens si divers et si opposés.

Ils nous content tous la même simple histoire : un jour, au petit douar où s’écoulait, dans l’uniformité d’une source qui s’épand, la vie quotidienne, un homme est venu : un étranger. Il était précédé d’une renommée qui cheminait dans la poussière des caravanes. D’avance d’obscures espérances l’attendaient. Il était pâle avec de longs cheveux broussailleux, ses habits étaient souillés et déchirés. Il avait dormi sur la terre et marché dans les ronces. Sur son épaule il portait la besace, dans sa main un bâton. Rien qu’à le voir, on disait déjà : c’est un envoyé. Il s’arrêtait au souk : le vendeur d’eau lui donnait à boire dans les gobelets de cuivre. A ceux qui, en silence, venaient le considérer, il montrait un rouleau de parchemin, et sur le parchemin, les curieux penchés, les yeux avides, voyaient l’image peinte d’un grand arbre couvert de rameaux, tout enluminé d’or, de vert et de rouge ; des branches sortaient des branches : elles s’étendaient en faisceaux innombrables. A l’extrémité des rameaux des caractères étaient tracés, s’enchevêtrant les uns dans les autres en un réseau compliqué, plein de mystère. Qu’il fallait être savant pour y lire ! Les gens du douar, assis sur leurs talons nus, contemplaient en silence devant la tente du nouveau venu le parchemin enluminé ; dans les signes inscrits par des mains savantes qui écrivent les choses cachées que les hommes ne déchiffrent pas, ils voyaient déjà un mystère effrayant et vénérable. Le pauvre homme disait : Je suis le descendant de Mahomet par Fatma, sa fille chérie. Sur l’arbre aux innombrables rameaux, il expliquait sa descendance, énumérant tous les noms sonores qui, rivés ensemble, faisaient la chaîne mystique attachée au nom sacré de Mahomet et dont il se disait lui-même le dernier anneau. Son affirmation devenait le premier dogme. Sous un olivier, à portée du village, il tendait sa petite tente de toile portée sur trois bâtons et, tout de suite investi par le fait ou par la fable de sa naissance d’un prestige sacré, il devenait, lui aussi, une puissance à deux faces qui inspirait tour à tour l’alarme et l’espoir. On le voyait le matin, à midi, le soir prier la face tournée vers la Mecque. Egrenant son chapelet d’ambre, il semblait épuiser son souffle à dénombrer le nom de Dieu, s’égarant dans l’infini des attributs de l’Un. Sa dévotion inspirait le respect. « Sûrement, disait-on, le Prophète écoute la