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cancer, de l’abbé Picard, astronome, et du non moins fameux abbé Renaudot. Sans compter que la rencontre à Paris de ces prêtres » libéraux » et savans doit sûrement avoir contribué à effacer, dans l’âme de Locke, les dernières traces de prévention puritaine contre les mœurs et le caractère « papistes, » préparant ainsi le futur philosophe à devenir l’un des premiers apôtres anglais de la tolérance. Précédemment déjà, au cours d’un voyage en Allemagne, il avait écrit de Clèves à l’un de ses amis : « La religion catholique est chose bien différente de ce que nous la croyons en Angleterre. J’en pense tout autrement ici que lorsque j’étais dans un pays rempli de préjugés contre elle. Je n’ai rencontré personne d’aussi bienveillant et aimable que les prêtres catholiques de ce pays, et j’en ai reçu maintes courtoisies dont je garderai toute ma vie un souvenir reconnaissant. » En France, maintenant, autour de ce Thoynard qui est lui-même un fervent catholique, l’ancien admirateur des prêtres d’Allemagne se lie avec des abbés qui unissent à leur foi toute la science d’un Boyle, et parfois aussi une intelligence hors de pair. Quoi d’étonnant que, plus tard, dans ses entretiens avec ses nouveaux amis, les Remontrans hollandais, il ait réclamé, pour la religion de Thoynard et de l’abbé Gendron le droit de ne pas être exclue de la « Cité chrétienne ? »

Et puis, lorsqu’un an environ après ces premières lettres à Thoynard, durant l’été de 1679, notre voyageur, revenu en Angleterre, se remet à correspondre avec son savant confrère parisien, nous découvrons que les quelques mois qu’il a passés de nouveau à Paris ont changé désormais l’ancienne liaison en une très étroite amitié personnelle. Dans la suite, les relations épistolaires de Locke et de Thoynard subiront des temps d’arrêt, causés probablement par les complications de la politique : mais jusqu’au bout, le philosophe anglais conservera pour son hôte français de naguère l’affection sincère et profonde que nous laisse voir la lettre de tout à l’heure. A en juger du moins par l’apparence extérieure, Thoynard aura été l’un des amis que l’auteur de l’Essai sur l’Entendement humain a le plus aimés. Dans le recueil publié par MM. Ollion et de Boer, notamment, le ton à la fois et le contenu de ses lettres à Thoynard nous offrent quelque chose de librement « abandonné » que ne nous montrent pas au même degré ses lettres à van Limborch et à Edward Clarke. A tout moment il plaisante, s’interrompt au milieu d’une idée pour passer à une autre, ou bien évoque tristement l’image des inoubliables journées de son dernier séjour à Paris. Le savant éditeur de ses lettres se refuse à le prendre au sérieux quand il écrit à son correspondant que « c’est l’espérance