Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/933

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laisser en possession de notre sang-froid, il s’établit entre ses personnages et nous un malentendu qui nuit beaucoup à l’effet. Ils délirent et nous raisonnons ; nous ne parlons pas leur langage ; nous n’envisageons pas les choses au même point de vue ; nous n’avons pas de part à cette exaltation qui transforme les actes et les colore d’un jour spécial. C’est ce désaccord qui, je le crains, nous a fait tout de suite prendre les Roses rouges au rebours des intentions de l’auteur.

Voici une femme, Francine, ancienne actrice qui a quitté le théâtre pour se marier. C’est, nous dit-on, une très honnête femme. Songez donc ! elle n’a eu qu’un amant ; il est mort et lui a légué sa fortune. Et voici Georges Jeannequin. Romancier de grand talent, il avait moins de succès que de talent. Il a épousé Francine qui est riche ; cela lui a permis de se consacrer uniquement à son art, sans plus avoir à se soucier des mesquines réalités de la vie : il est maintenant en pleine réputation. Georges est un véritable artiste et c’est un très honnête homme.... Ici commence le malentendu. Car nous savons parfaitement ce que c’est qu’une honnête femme, sans même qu’il y ait besoin pour cela d’employer le superlatif : c’est une femme qui n’a pas eu d’amant. Pareillement un homme, sans être pour cela très honnête, et pourvu qu’il ne soit pas le contraire d’un honnête homme, n’épouse pas une femme qu’un amant a enrichie. Cette divergence initiale suffit à montrer que, sur la scène et dans la salle, l’état d’esprit n’est pas le même. Vérité en deçà de la rampe, erreur au delà.

Nous sommes à la campagne, dans une élégante propriété que les moyens de Francine lui ont permis d’offrir à son mari et à elle-même. C’est le cinquième anniversaire de leur mariage. Georges n’est pas un homme heureux, c’est l’homme heureux. Il aime et il a la conviction qu’il est aimé. Il a un intérieur charmant. Il y a recueilli la fille d’un ami, Marthe, qui est maintenant une grande et belle jeune fille, pour qui soupire un professeur de piano un peu ridicule. Marthe n’aime pas le professeur de piano. C’est André Puysieux qu’elle aime, et, conséquemment, elle demande à ses parens adoptifs de la marier avec André Puysieux. A cette ouverture, Georges applaudit sans réserves, mais Francine se montre moins enchantée : elle se trouble, elle s’irrite ; finalement, elle feint de consentir et se charge de faire elle-même et tête à tête la commission à Puysieux. A peine est-elle seule avec le jeune homme, elle tombe dans ses bras... et cela ne nous cause aucune surprise.

Elle se désole : « C’était si gentil, cette existence que nous menions depuis deux ans ! » Et lui : « Dites mieux : c’était si beau ! Ah ! l’adultère !