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Tout serait au mieux et la Mauritanie serait heureuse, s’il n’y avait pas, pour tout gâter, la cruauté des Romains. Car, aux yeux des Romains, le mariage de Massinissa a un grave inconvénient : il soustrait Sophonisbe à l’humiliation d’être traînée après le char de triomphe du vainqueur, il frustre le peuple-Roi d’un spectacle dont il est avide. Mais Scipion veille. Celui-ci, diplomate correct et conquérant impitoyable, représente la politique du Sénat et ce que les nations vaincues appelaient avec horreur : « la paix romaine. » Au fougueux Massinissa qui jure de défendre Sophonisbe, il répond, sans se fâcher, avec une ironie tranquille. A Sophonisbe qui le supplie de ne pas briser son bonheur, il répond poliment, en homme qui tient en réserve son moyen, et un moyen d’un effet sûr :


Si vous le désirez, je brise vos entraves.
Mais avant d’arrêter des mesures si graves,
J’y ferai cependant une restriction.
Songez que le devoir commande à Scipion
D’étendre sur tous les captifs sa bienveillance.
Or un autre a des droits qu’on passe sous silence,
Et ce serait agir, madame, injustement,
Que de déposséder, sans son consentement,
Un homme que le sort a mis sous ma tutelle.
Garde, amenez Syphax !


Et voilà le moyen de Scipion... Syphax, qu’on avait cru mort, est. vivant ! Sophonisbe a deux maris ! Tel est le coup de théâtre, telle est la situation éminemment romanesque, telle la péripétie qui « change tout, donne à tout une allure imprévue. »

Désormais en effet tout est changé et d’abord le cœur de Sophonisbe. Entre ses deux maris, dont l’un est triomphant et l’autre malheureux, elle n’hésite pas ; si peut-être elle garde au fond de son cœur, pour l’irrésistible Massinissa, un je ne sais quel tendre, elle éprouve pour Syphax, sublime dans le malheur, un amour mêlé d’admiration. Telle Pauline oublie Sévère pour Polyeucte martyr. La situation est d’ailleurs inextricable et ne comporte qu’une solution : la mort. Sophonisbe s’empoisonne et le quatrième acte tout entier, — conforme à une tradition de la tragédie grecque, — est consacré aux lamentations de la jeune femme sur elle-même et sur sa mort prématurée.

La Sophonisbe de M. Poizat est certainement une œuvre originale, car l’auteur y a usé librement des données de l’histoire comme des exemples de ses prédécesseurs. L’idée, par exemple, lui revient, du suicide volontaire de Sophonisbe, : en réalité, c’est Massinissa qui,