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les Numides de Massinissa. Sophonisbe a été mariée malgré elle à Syphax, qui est vieux et qu’elle n’aime pas ; et, crainte que nous l’ignorions ou qu’il l’ait oublié, elle le lui répète avec insistance. Elle lui est fidèle : il ne peut raisonnablement exiger davantage d’une femme qui ne l’aime pas. Car elle ne l’aime pas, ce qui s’appelle ne pas aimer ; elle a pour lui une certaine estime, mais l’amour, tout l’amour est pour un autre. Quel est cet autre ? Syphax, qui est un mari et pour qui il y a des grâces d’état, ne s’en est jamais douté. Il apprend soudain le nom de ce rival abhorré : c’est Massinissa. De désespoir, il retourne au combat, et bientôt on vient nous apprendre qu’il a été tué dans la bataille.

Une jeune fille qui a beaucoup rêvé et dont les rêves ont été déçus :


Comme de blanches nefs, mes yeux de jeune fille
Voyaient alors venir mes rêves en chantant ;


une jeune femme, sentimentale, mélancolique, et aussi peu reine que possible :


Nourrice, je ne suis rien qu’une pauvre femme,
Par le sort égarée au milieu d’une cour.
Et pour qui la couronne est un fardeau nien lourd !
Aimante, toujours triste, impuissante à la haine,
Tu vois si je suis peu faite pour être reine ;


telle est la reine de Mauritanie. Syphax est le vieillard amoureux des tragédies. Il nous reste à faire connaissance avec Massinissa. Lui non plus, n’est guère farouche. Pas plus que Sophonisbe, il n’est ébloui par l’éclat d’une couronne ; et, devenu conquérant, il regrette le temps où il n’était que simple sous-lieutenant, mais heureux auprès de la beauté pour laquelle il soupirait. Il s’en explique avec Narbal, qui tient le rôle du confident indispensable dans une tragédie :


Et crois-tu donc vraiment, si j’ai, toi qui me railles,
Couru tant de périls, forcé tant de murailles.
Si j’ai tant intrigué, si j’ai tant combattu.
Que ç’ait été calcul, que ç’ait été vertu.
Que ç’ait été l’espoir de gagner un royaume,
Moi que contenterait une hutte de chaume ?


Une chaumière et un cœur !... Maintenant que Sophonisbe est libre, je veux dire maintenant qu’elle est veuve, Massinissa va pouvoir réaliser le rêve commun de leurs jeunes années : sur l’heure, il l’épouse.