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Mais, puis-je pour toujours m’éloigner de la route
Où vous ramènera notre rêve trop cher ?
Non, pour que la douleur s’écoule goutte à goutte
De notre cœur brisé, longtemps encor, sans doute,
Nous devrons respirer le doux parfum d’hier !

Alors j’irai vous voir de loin en loin encore ;
Parfois, vous me direz : Ah ! vous ne m’aimiez pas !
Et puis le temps fuira de l’aurore à l’aurore,
Je ne l’entendrai plus cette voix qui m’implore ;
Un soir, vous oublierez jusqu’au bruit de mes pas !

Ainsi, je dénouerai, d’une main lente et sûre,
Tous les liens d’amour qui semblaient nous unir ;
Pour pouvoir du passé guérir la meurtrissure,
Ma lèvre étanchera sur la chère blessure
Le sang qui coule encor brûlant du souvenir.

Je ne détruirai pas le poème infaisable.
Car ses restes épars clameraient nos douleurs ;
Mais, aux déserts sans fin de l’heure insaisissable.
En laissant chaque jour s’amonceler le sable,
Nous l’ensevelirons, sans tumulte et sans pleurs.

A notre passion, par nos mains immolée.
Nous n’élèverons point, immuable et trop beau,
Un marbre éblouissant ; mais comme mausolée.
Elle aura pour toujours notre âme désolée.
Nos regrets pour linceul, et l’oubli pour tombeau !


HENRY GRAWITZ.