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Alors ne parlons plus ; écoutons en nous-mêmes
Chanter nos souvenirs comme d’ardens poèmes
Que nous avons réalisés.
Jadis, quand nous passions sur cette même route,
Ces souvenirs n’étaient qu’un espoir — dont on doute.
Maintenant, écoutez... écoute
Chanter ce cher passé qui nous a tant grisés !

Mais pourquoi donc faut-il qu’à l’instant où le rêve
Nous rendrait éternelle une ivresse aussi brève,
Nous sentions s’éveiller en nous
L’inévitable appel de la tristesse errante,
Comme je sens, ce soir, malgré l’heure enivrante
Et ton étreinte encor vibrante,
S’emplir mes yeux de pleurs et fléchir mes genoux !

Et soudain, pour répondre à l’angoissant problème,
Tandis que sous le ciel déjà devenu blême,
Je serrais ton corps frémissant.
J’ai vu dans tes grands yeux fixés vers la lumière,
Comme pour y poursuivre une vague prière.
S’éteindre la lueur dernière
De l’astre que voilait l’horizon rougissant !

Et ce dernier rayon qu’ainsi je vis éteindre
M’a dit : « Tout doit mourir... Ce que tu crois atteindre
N’est jamais qu’un rêve qui meurt,
Qui meurt comme la rose au souffle qui l’effeuille,
Comme la goutte d’eau que le sable recueille,
Comme un parfum de chèvrefeuille.
Ou comme sur la mer l’empreinte du rameur ! »


L’OUBLI


Pour demeurer fidèle au serment qui vous lie.
Dans un dernier adieu vous m’avez murmuré
De votre tendre voix, de remords affaiblie :
« Par pitié, ne me tente plus, je t’en supplie. »
Alors, je dois vous fuir et je vous l’ai juré !