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Car nous avions compris que jamais ce désir
Ne pourrait au grand jour encor nous ressaisir ;
Qu’il faudrait lui donner l’atmosphère d’un songe,
D’ombre l’environner, le voiler de mensonge ;
Que, s’il nous a semblé ranimer nos cœurs morts,
C’était pour attiser la flamme d’un remords ;
Et que toute sa joie enfin n’est qu’éphémère…

Comme il est doux, le soir, de rester sans lumière !


SUR LES CIMES


Loin du monde et toujours sur de plus hautes cimes,
Nous avions voulu fuir vers ces instans sublimes,
Où notre rêve est un flambeau
Illuminant la vie, où notre âme s’enivre
De posséder enfin ce qu’elle doit poursuivre,
Cette extase qui la délivre
De tout ce qui n’est pas surhumainement beau !

Et nous étions si loin de toute vie humaine
Que le pâtre pensif, qui lentement ramène
Dans le soir son troupeau bêlant,
N’a jamais dû fouler en cherchant la vallée
Ces grands rochers déserts, leur cime désolée,

  • Ni même la route isolée

Où nous errions tous deux d’un pas égal et lent.

Que cette mer sans voile où ne brillaient encore
Que les reflets tremblans du soleil qui la dore
Etait notre unique horizon,
Mais si lointaine aussi que l’invisible grève,
Où la vague apaisée et calme bat sans trêve.
Ne pouvait troubler notre rêve
De son chant monotone ainsi qu’une oraison !

Et, comme en arrivant sur la cime suprême,
Do tous nos vains désirs, de notre cœur lui-même,
Nous nous croyions enfin vainqueurs,