Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/919

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien des fois définie avec une netteté parfaite ; le professeur Baldacci, que nous avons déjà cité, écrit en 1912 : « Notre formule est ceci : dans le cas où l’Albanie changerait de gouvernement, aucun autre pavillon que le pavillon albanais ne sera hissé sur la ville shkipetare. » L’amiral Bettollo, dans une interview à la même époque, déclare : « En ce qui concerne Vallona, l’Italie ne pourrait jamais accepter qu’une grande Puissance s’y vînt installer directement ou indirectement, et encore moins qu’elle convertît cette position splendide en une vraie base d’opérations. Si Vallona devait un jour devenir cette base militaire, il n’y a que l’Italie qui pourrait être appelée à l’occuper ; parce que, si Vallona était dans les mains d’une autre puissance maritime, l’efficacité des places de Tarente et de Brindisi serait considérablement diminuée, avec grand péril pour notre situation stratégique dans le canal d’Otrante. »

C’est la politique permanente de l’Italie, politique qu’a définie, en termes diplomatiques, mais non moins nets, M. Tittoni, ministre des Affaires étrangères en mai 1904, en s’exprimant ainsi : « L’Albanie n’a pas grande importance en elle-même ; toute son importance tient dans ses côtes et ses ports qui assureraient à l’Autriche et à l’Italie, dans le cas où une de ces deux Puissances en serait maîtresse, la suprématie incontestée de l’Adriatique. Or, ni l’Italie ne peut consentir cette suprématie à l’Autriche, ni l’Autriche à l’Italie ; aussi, dans le cas où une de ces deux Puissances voudrait la conquérir, l’autre devrait s’y opposer de toutes ses forces. C’est la logique même de la situation. »

Cette situation apparaît dans toute sa brutalité au voyageur qui a suivi les « échelles » des territoires dalmates, monténégrins et albanais et qui arrive dans cette baie splendide de Vallona, que la nature a modelée pour abriter des flottes. Il est visible que cette rade est le plus bel enjeu de la partie albanaise et peut être la pomme de discorde entre Italiens et Autrichiens ; c’est, en tout cas, le Gibraltar de l’Adriatique.


GABRIEL LOUIS-JARAY.