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devant le voyageur qui aborde à la rive. Mais qu’il descende ; que, de spectateur lointain du paysage féerique, il devienne le promeneur familier anxieux de voir de près la beauté entrevue, souvent, hélas ! un désenchantement lui fait maudire le mirage que devant ses yeux a fait jouer la lumière. Vallona est de ces villes. On aborde à un port rudimentaire, ou plutôt à un débarcadère construit par une société exploitant l’asphalte ; quelques arbres masquent des ruines assez importantes d’une forteresse vénitienne, puis une route poussiéreuse conduit de la douane à une ville sans beauté et sans charme ; le bazar n’a point d’attrait, et les étalages y sont misérables ; la grande place est d’une banalité qu’égalent les mosquées voisines ; l’eau vive manque ; les costumes locaux ont disparu, et les maisons sont sans intérêt. Ce ne sont plus les « Koulé » de Diakovo et d’Ipek, forteresses féodales des beys albanais du Nord ; les jardins desséchés n’ont pas la vie que met l’eau courante des ruisselets à Tirana la verte ou dans la mystérieuse Ipek. Rien ne rappelle ici l’originalité des villes albanaises de l’intérieur. Je cherche le cimetière où, près de la maison, les pierres debout marquent seules les tombes et où, sous les arbres centenaires, gens et bêtes passent pour les besognes familières. Je ne trouve plus le jardin clos où c’est un fouillis de fleurs, d’arbres et de vignes aux lourds raisins, où l’on peut cueillir le fruit qui vient de mûrir et le rafraîchir dans l’eau glacée et pure qui circule à travers les herbes dans les sillons qu’on lui a creusés.

Non contente d’être sans grâce, Vallona est aussi sans salubrité ; elle est entourée de marécages, et la malaria sévit. L’Occidental qui y séjourne doit ne pas oublier la quinine et en faire usage. Le gouvernement turc, avec son habituelle insouciance, n’a rien fait pour protéger les habitans ; l’eucalyptus, qui aurait si facilement asséché les environs et chassé l’endémique malaria, n’a nulle part été planté. Souhaitons plus de prévoyance au jeune gouvernement albanais.


C’est à Vallona que celui-ci a établi sa première capitale ; la raison en est simple, c’est le fief du chef de ce gouvernement, Ismaïl Kemal. L’organisation féodale subsiste dans cette partie du pays comme au Nord ; à côté des villages libres, où chaque paysan est propriétaire de sa terre, des propriétés foncières considérables