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et plus que sexagénaire, avec une jeune fille de quinze ans, Mlle de Lorge, sœur cadette de la duchesse de Saint-Simon ; puis son voyage à Londres, son rôle en 1688 dans la révolution d’Angleterre, qui lui assure l’amitié reconnaissante des souverains britanniques renversés et proscrits, sa campagne en Irlande, entreprise pour la défense de leurs droits, son élévation à la dignité de duc et pair héréditaire venant récompenser son dévouement à une grande infortune et enfin sa retraite, en 1720, dans un couvent de moines augustins, bientôt suivie de sa mort à l’âge de quatre-vingt-dix ans ; rétablissons ces événemens dans le cadre où ils se sont déroulés, et nous devrons reconnaître qu’en dépit de leur réalité rigoureusement historique, ils constituent, ainsi que je l’ai dit, le plus extraordinaire des romans.

Ce caractère est d’ailleurs commun à plusieurs des personnages du XVIIe siècle, et surtout aux femmes de la Cour de Louis XIII et de Louis XIV. Victor Cousin l’avait compris lorsqu’il se fit l’historien des héroïnes de la Fronde. La preuve en est dans les récits qu’il leur a consacrés, où l’élément romanesque est mis en lumière avec une persévérance systématique et sans dommage pour la vérité. C’est là, me semble-t-il, la bonne méthode puisqu’elle rend plus attrayantes les œuvres qui s’y conforment. M. le duc de La Force est récompensé de l’avoir adoptée par le succès dont bénéficie son livre où la naturelle sévérité de l’histoire est tempérée par les développemens donnés aux traits particulièrement pittoresques.

M. Louis Batiffol et M. Paul Fromageot avaient fait de même, l’un pour la duchesse de Chevreuse, l’autre pour la duchesse de Châtillon, et le résultat de leur effort a été identique à celui qu’a obtenu M. le duc de La Force. Nos auteurs méritent donc d’être associés dans les mêmes éloges et d’autant plus que les trois grands acteurs dont ils ont éclairé la physionomie, ayant occupé successivement la scène du monde pendant cent vingt années, la monographie de chacun d’eux est comme un chapitre détaché d’une grande histoire, et qu’il suffit d’enchaîner ces chapitres l’un à l’autre pour voir revivre et se dérouler autour de figures illustres toute l’épopée d’un siècle que, non sans raison, on a appelé « le grand siècle. »


ERNEST DAUDET.