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d’une carrière qui fait de lui, quoique placé au second rang, le plus original et le plus romanesque des personnages de son temps. Nous le voyons débarquer à quinze ans, du fond de sa province, tel un cadet de Gascogne, chez son parent le maréchal duc de Gramont, y grandir en se façonnant aux belles manières et s’élancer de là vers l’avenir qu’il va poursuivre avec le savoir-faire et la ténacité d’un ambitieux, avide de plaisirs et de richesses non moins que dépourvu de scrupules et de préjugés. Nous le voyons évoluer, s’agiter, conquérir les belles, plier l’échine, gagner la faveur royale, en tirer des honneurs et des grâces plus promptement qu’aucun de ses contemporains, puis rouler de ces hauteurs dans une disgrâce éclatante qui lui vaudra un emprisonnement de dix années, durant lequel il se croira perdu à jamais. Sorti de prison après cette longue et douloureuse captivité, il reparaît sur le théâtre où il a brillé d’un incomparable éclat ; il y court de nouvelles aventures, va en chercher d’autres en Angleterre, se montrant toujours et partout tel que nous l’a décrit Saint-Simon : « extrêmement brave et aussi dangereusement hardi ; courtisan également insolent, moqueur, bas jusqu’au valetage et plein de recherches, d’industrie, d’intrigue, de bassesses pour arriver à ses fins, avec cela dangereux aux ministres, à la Cour, redouté de tous et plein de traits cruels et pleins de sel qui n’épargnaient personne. »

En regard de son existence agitée, dressons maintenant le tableau de l’amoureuse passion qu’a conçue pour lui la vieille fille qu’est la Grande Mademoiselle et celui des tentatives auxquelles il se livre pour attiser cette passion, en ayant l’air de s’y dérober et en feignant de croire qu’il est trop mince gentilhomme pour devenir l’époux d’une princesse du sang ; rappelons l’opposition que fait le Roi à cette union, après y avoir d’abord consenti, la douleur irritée de Mademoiselle, la résignation jouée de Lauzun à la volonté du maître, l’effort combiné de Louis XIV et de Mme de Montespan pour faire attribuer à leur bâtard le duc du Maine les biens considérables dont la princesse avait voulu disposer en faveur de l’homme qu’elle aime et dont définitivement il n’aura qu’une faible part ; suivons en ses extravagances la folle jalousie dont elle le poursuit et au point de donner à penser qu’ils sont mariés secrètement ; greffons sur ces incidens la brouille qui résulte de cette jalousie, la mort de Mademoiselle et le mariage de Lauzun, enfin délivré de ce joug