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jetée dans un carrosse où l’attendait d’Andelot et emmenée à Château-Thierry. Les fugitifs y arrivaient après avoir galopé toute la nuit et leur mariage était immédiatement célébré dans la grande église de la ville, « en présence de la garnison et de tous les nobles d’alentour » conviés, dès la veille, à la cérémonie. Le même jour, pour se dérober aux poursuites qu’ils avaient lieu de craindre, ils se réfugiaient dans la place forte de Stenay, apanage du Duc d’Enghien. Grâce à la protection et à l’amitié du prince, ils pouvaient maintenant attendre en sûreté que les orages déchaînés par leur audacieuse entreprise fussent apaisés. Ces orages furent violens et terribles. Pour y mettre fin, il ne fallut rien moins que l’intervention de la Reine régente, de Mazarin, de la Princesse douairière de Condé, du Saint-Siège lui-même, et encore, le maréchal de Châtillon ne se laissa-t-il arracher son consentement qu’à la condition que le mariage serait solennellement confirmé. Les jeunes époux se hâtèrent de revenir et, le 19 juin, ils recevaient de l’archevêque de Paris une nouvelle bénédiction nuptiale ; ils pouvaient, désormais, jouir en paix de leur bonheur.

Ainsi s’ouvre pour celle qui, par suite de cette brillante alliance, sera bientôt duchesse de Châtillon, le cycle d’aventures qu’elle était destinée à parcourir. Toutefois, à ne la considérer qu’aux débuts de sa nouvelle existence, il ne semble pas qu’elle doive porter la responsabilité du désarroi auquel le ménage est bientôt livré. Le premier coupable, c’est le mari qui, rappelé à l’armée peu après son mariage, ne revenait à Paris que pour donner à sa femme le spectacle, offensant pour elle et scandaleux pour tous, d’une vie de débauche. Elle le voit retourner chez ses anciennes maîtresses, fréquenter Marion de l’Orme, contracter une liaison avec Mlle de Guerchy, fille d’honneur de la Reine, reprendre en un mot ses anciennes habitudes et pousser si loin l’inconduite que son père au moment de mourir le déshérite au profit des enfans qui naîtront de cette union.

Délaissée par son mari, la jeune épouse passe dans une maison religieuse une partie de l’année 1646 ; en 1647, elle a quitté cette maison ; mais elle vit très retirée comme si elle voulait se faire oublier ; l’été venu, elle se rend aux eaux de Bourbon. Là, elle rencontre le duc de Nemours. Alors commence entre elle et lui un commerce amoureux qui ne sera plus un secret lorsqu’en février 1649, au début de la Fronde, le duc de Châtillon,