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lire ces ouvrages pour se convaincre qu’en le croyant, on se serait trompé et qu’en fait, loin d’avoir tout récolté, les précédens écrivains avaient laissé sur place des gerbes lourdes de grains et en assez grand nombre pour assurera leurs successeurs une luxuriante moisson.

Le premier en date des livres dont je parle, La Duchesse de Chevreuse, que nous devons à M. Louis Batiffol, l’érudit historien de Louis XIII, nous fournit à cet égard une preuve éclatante. En rappelant qu’avant lui, Victor Cousin avait raconté la vie de Marie de Rohan-Montbazon, d’abord duchesse de Luynes puis, après la mort de son premier mari, duchesse de Chevreuse, M. Louis Batiffol déclare que s’il s’est décidé à traiter de nouveau le sujet, c’est qu’il lui a semblé « que Victor Cousin n’avait pas connu nombre de documens susceptibles de renouveler sur bien des points la biographie de la célèbre ennemie de Richelieu ; qu’il n’avait peut-être pas tiré tout le parti possible des textes qu’il publiait en appendice de son livre, — textes pour lesquels il existe des copies plus étendues et plus correctes que celles qu’il a utilisées ; — enfin qu’arrêté par des scrupules étrangers aux droits de la critique, il avait cru devoir dissimuler certains côtés fâcheux de l’existence de son héroïne pour tracer d’elle un portrait plus flatteur. »

De toutes les raisons qu’invoque ici M. Louis Batiffol pour se faire pardonner ce qu’il appelle « sa témérité, » la dernière est assurément la plus plausible et n’eût-il pu invoquer que celle-là, elle suffirait à justifier son entreprise. Il n’est pas douteux, en effet, que séduit, à plus de deux siècles de distance, par la beauté de Mme de Chevreuse, par sa grâce, par son esprit comme il l’avait été d’ailleurs par les attraits de Mme de Longueville, Victor Cousin, en parlant de cette grande intrigante, a poussé à l’excès la bienveillance. Il se défend d’avoir été gagné à la cause dont elle accéléra la perte, après en avoir été l’âme ; mais il confesse qu’il est l’admirateur de « son génie remuant » et, peut-être, cette admiration lui fait-elle couvrir de trop d’indulgence les désordres de la duchesse de Chevreuse, la détestable influence quelle exerça sur la jeune reine Anne d’Autriche, la déloyauté qu’elle apporta dans sa lutte contre Richelieu et dans ses démêlés avec Mazarin, ses intrigues au cours de la guerre civile qu’elle avait contribué à déchaîner et, pour tout dire, son inconduite et ses trahisons, dont ses amis n’eurent