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pays ne doit pas se mesurer aux acclamations qui les saluent : tel est le cas du fougueux député des Asturies, don Melquiadès Alvarez. Déjà, sur l’aile gauche, les socialistes se détachent des républicains ; ils parlent de plus près au peuple, attentifs à discerner ses besoins plutôt qu’à disserter sur la forme du gouvernement ; ils prennent de l’autorité dans les milieux ouvriers à la faveur des malaises issus de la vie chère. Leurs progrès avertissent le gouvernement de ne pas s’attarder sur la voie des réformes préventives ; ils contribuent à stimuler les groupes, monarchistes ou non, qu’inquiètent les menaces de révolution. Tout cela signifie, en résumé, une Espagne nouvelle qui monte ; cela veut dire usure des anciens cadres parlementaires, éducation d’une opinion publique, subordination des coteries politiques aux innovations économiques et sociales. Ce phénomène n’est point, sans doute, particulier à l’Espagne dans le monde contemporain ; mais il s’exprime en Espagne sous une forme particulière, qui est une sorte de mue de la monarchie constitutionnelle.


Les voyageurs qui ont parcouru l’Espagne à plusieurs reprises, au cours des quinze dernières années, auront été frappés des changemens rapides observés, un peu partout, à travers ce pays réputé immobile. L’industrie a évolué la première, et l’on en a vu plus haut la raison. Barcelone et Bilbao sont les capitales de deux régions peuplées d’usines, ici des filatures, des ateliers de tissage, des fabriques de produits chimiques, là des établissemens métallurgiques et des exploitations minières ; les deux ports se sont agrandis, pourvus d’un outillage complet. Chacun a défini sa physionomie propre : Barcelone, avec ses larges bassins, ses quais verticaux, ses ramblas plantées d’arbres qui descendent jusqu’à la mer, a l’activité variée d’une ville de passage ; Bilbao, plus spécialisée, tassée sur les deux berges abruptes de sa rivière aux eaux souillées, évoque l’idée d’une métropole anglaise de la black country, A elles deux, ces capitales, centres d’agglomération de capitaux, ont été longtemps les organes essentiels de l’Espagne industrielle ; elles vivaient presque en marge du pays intérieur, peuplé de leurs tributaires ; partout ailleurs, dans la péninsule, l’industrie était dispersée et, pour ainsi dire, rurale. L’Espagne centrale manque de combustible ; celui qui lui arrive du dehors